06.02.2005 - Irak : la dévastation, par Dahr Jamail (*)
La dévastation de lIrak ? Par
où vais-je commencer ? Après avoir travaillé sept des douze derniers mois en Irak,
je suis toujours accablé, ne serait-ce déjà que par lidée de my mettre,
par les tentatives de description de cette dévastation.
La guerre et loccupation illégales
de lIrak ont été menées pour trois raisons, sil faut en croire
ladministration Bush. La première, ce sont les armes de destruction massive,
quon a toujours pas trouvées. La seconde, parce que le régime de Saddam Hussein
entretenait des liens avec al-Qaïda, ce qui na jamais été prouvé, et même M.
Bush la admis personnellement. La troisième raison, contenue dans le nom donné à
linvasion, " Opération Liberté de lIrak ", résidait
dans la volonté de libération du peuple irakien.
Ainsi donc, aujourdhui, lIrak
est un pays libéré.
Lun dans lautre, jai
vécu dans Bagdad libéré et dans ses environs durant douze mois, période pendant
laquelle je me suis également trouvé à lintérieur de Fallujah durant le siège
davril et, plus dune fois, des militaires mont tiré des coups de
semonce par-dessus la tête. Jai voyagé dans le Sud, dans le Nord et en tous sens
dans le centre de lIrak. Toutefois, ce que jai vu au cours des premiers mois
de 2004, à lépoque où il était plus facile pour un journaliste étranger de
parcourir le pays, offrait une aperçu souvent prévisible des horreurs à
venir au cours de la suite de lannée (et à coup sûr, en 2005 aussi). Il est
intéressant de retourner au premier semestre, désormais oublié, de lan dernier et
de se rappeler à quel point la situation était horrible pour les Irakiens, même dans
les premiers temps de notre occupation de leur pays.
Pour les Irakiens, à lépoque, et
encore aujourdhui, notre invasion et notre occupation était une affaire de
libération des droits de lhomme (pensez-y : les atrocités commises à Abou
Ghraïb ont toujours lieu aujourdhui, là comme partout ailleurs), de libération
dune infrastructure en état de fonctionnement (pensez-y aussi :
aujourdhui, lapprovisionnement en électricité fonctionne très mal, et cela
vaut aussi pour les innombrables kilomètres de conduite de gaz ou dégouts dans les
rues), de libération de la possibilité de vivre dans toute une ville (pensez-y
encore : Fallujah, aujourdhui, dont la majeure partie a été rasée par les
bombardements aériens et autres moyens de guerre).
A lépoque, les Irakiens étaient
déjà amers, désorientés, et il leur fallait vivre dans une désolation causée par des
myriades de promesses non tenues de ladministration Bush. Chaque Irakien libéré,
pour ainsi dire, quil ma été donné de rencontrer aux tout premiers jours de
mon séjour dans le pays, a soit un parent ou un ami qui a été tué par les soldats
américains ou par les effets de la guerre et de loccupation. Ces derniers
comprennent des choses tellement quotidiennes de la vie, tel le fait de ne pas avoir assez
dargent pour se nourrir ou se chauffer, en raison du chômage massif et des prix des
combustibles en forte hausse, ou encore la moindre des innombrables autres horreurs
provoquées par les faits et opérations déjà mentionnées plus haut. Les promesses
rompues, les infrastructures détruites et les villes irakiennes anéanties, tout cela
était déjà nettement visible durant les premiers mois de 2004, et le plus triste,
cest que les dévastations que jai vues nont fait quempirer
depuis. Lexistence que les Irakiens menaient il y a un an, tout horrible
quelle fût, nétait encore quun prélude de ce qui allait venir sous
loccupation américaine. Les signes avant-coureurs dune résistance violente
en devenir étaient bien visibles, depuis la destruction des infrastructures jusquà
toutes ces tortures.
Les promesses rompues
Il a été très vite évident, même
pour un nouveau venu sadonnant au journalisme et même au cours de ces tout premiers
mois de lan dernier, que la nature réelle de la libération que nous apportions à
lIrak navait rien dun scoop pour les Irakiens. Bien avant que les
médias américains décident quil était temps de faire état des horreurs qui se
perpétraient à lintérieur de la prison dAbou Ghraïb, la plupart des
Irakiens savaient déjà que les " libérateurs " de leur pays
torturaient et humiliaient leurs compatriotes.
En décembre 2003, à Bagdad, par exemple,
un homme ma dit, en faisant état des atrocités dAbou Ghraïb : " Pourquoi
recourent-ils à ce genre dactions ? Même Saddam ne faisait pas
ça ! Ce nest pas un bon comportement. Ils ne sont pas venus pour libérer
lIrak ! " Et, à lépoque, les plaisanteries de très
mauvais goût des coalisés commençaient déjà à circuler. Avec cet humour noir qui est
devenu si populaire à Bagdad aujourdhui, un détenu dAbou Ghraïb récemment
libéré ma déclaré, alors que je linterviewais : " Les
Américains mont mis le courant au derrière avant de lamener à ma
maison ! "
Sadiq Zoman est un cas assez typique de ce
que jai vu. Emmené de chez lui à Kirkuk par les forces américaines, en juillet
2003, il a été détenu dans une installation de détention militaire près de Tikrit
avant dêtre largué dans le coma à lhôpital général Salahadin. Alors que
le rapport médical qui laccompagnait, signé par le lieutenant-colonel. Michael
Hodges, déclarait que M. Zoman était comateux après une crise cardiaque causée par un
coup de chaleur, il ne mentionnait pas quon lavait matraqué à la tête, ni
ne parlait des marques de brûlures à lélectricité qui couvraient son pénis et
les plantes de ses pieds, ni les nombreuses contusions et marques de flagellation que
portait tout son corps.
Jai rendu visite à son épouse
Hashmiya et à ses huit filles dans uen maison presque vide à Baghdad. La majeure partie
de leurs biens avaient été vendus afin de pouvoir subsister. Un ventilateur tournait
lentement au-dessus du lit de Zoman qui, le regard absent, fixait le plafond. Un petit
générateur dappoint toussotait à lextérieur puisque, dans ce quartier,
comme presque partout à Bagdad, il ny avait que six heures de courant par jour.
Sa fille, Rheem, qui allait au collège,
exprima tous les sentiments de la famille quand elle dit : " Je hais les
Américains pour avoir fait ça. Quand ils ont emmené mon père, ils mont pris ma
vie. Je prie pour quon prenne notre revanche sur les Américains, parce quils
ont détruit mon père, mon pays et ma vie. "
En pai 2004, quand je me suis rendu chez
eux, un procès en cour martiale contre lun des soldats complices des tortures
pratiquées de façon répandue sur les Irakiens à Abou-Ghraïb venait tout juste
davoir lieu. Lhomme avait été condamné à une légère peine de prison,
mais cela navait fait aucune impression sur les Irakiens. Ils avaient été
convaincus une fois de plus non quils en eussent éprouvé le besoin
que les promesses de ladministration Bush de revoir ses règlements en ce qui
concernait la façon de traiter les Irakiens détenus nétaient pas moins creuses
que celles qui leur avaient été faites à propos de laide dans la construction
dun Irak sécurisé et prospère.
Lan dernier, les promesses creuses de
soumettre à la justice le personnel impliqué dans ces actes de haines, de même que les
promesses de rendre la prison dAbou Ghraïb plus transparente et accessible, sont
tombées sur des parents angoissés, attendant aux portes de la prison dans lespoir
dapercevoir leurs bien-aimés à lintérieur. Sous un écrasant soleil de mai,
je me suis rendu dans la " zone dattente " poussiéreuse,
lugubre, étroitement gardée en entourée de fils coupants, à lextérieur
dAbou Ghraïb. Jy ai entendu les histoires tout aussi horribles les unes que
les autres que racontaient des parents tristes, rassemblés avec obstination sur ce bout
de terre battue, espérant encore malgré tout quon leur accorderait une visite à
lun des leurs détenu dans cet horrible bâtiment.
Vêtu de sa dishdasha blanche, accroupi à
lécart sur laz crasse durcie, sa coiffe sagitant mollement dans le vent sec
et chaud, Lilu Hammed avait le regard imperturbablement fixé sur les hautes murailles de
la prison toute proche, comme sil tentait dapercevoir son fils de 32 ans,
Abbas, a travers les murs de béton. Quand mon interprète Abou Talat lui demanda
sil voulait nous parler, quelques secondes sécoulèrent avant que Lilu tourne
doucement la tête et dise tout simplement : " Je suis assis ici, sur le
sol, et jattends laide de Dieu. "
Son fils, sans avoir jamais été accusé
de quoi que ce soit, était à Abou Ghraïb depuis six mois après quune descente
chez lui nait pas permis de trouver la moindre arme. Lilu tenait un billet
dautorisation de visite tout chiffonné quil avait obtenu et qui lui
promettait de pouvoir visiter son fils
à trois mois de là, le 18 août.
De même que toutes les personnes que
jai interrogées sur place, Lilu navait trouvé de consolation ni dans le
récent procès en cour martiale, ni dans la libération de quelques centaines de
prisonniers. " Cette cour martiale est une absurdité. Ils disaient que les
Irakiens pourraient assister au procès, mais ce na pas été le cas. Cétait
un faux procès. "
A ce moment, un convoi de Humvee remplis de
soldats, les armes pointées par les petites ouvertures, passa en grondant par
lentrée principale du complexe pénal, soulevant un épais nuage de poussière qui
enveloppa rapidement tout le monde. La parente dun autre prisonnier, Madame Samir,
écartan,t les nuages de poussière, déclara : " Nous espérons que le
monde entier pourra voir la situation dans laquelle nous nous trouvons
actuellement ! ", avant dajouter, de façon plaintive : " Pourquoi
nous font-ils ça ? "
Lété dernier, jinterviewais
une femme de 55 ans, très gentille, qui travaillait comme professeur danglais. Elle
avait été emprisonnée quatre mois durant dans de nombreuses prisons
à Samarra,
Tikrit, Bagdad et, naturellement, à Abou Ghraïb. On le lui avait jamais permis de dormir
une nuit entière. Elle avait été interrogée à plusieurs reprises chaque jour, on ne
lui donnait pas assez de nourriture ou deau, elle navait pas pu voir un
avocat, ni sa famille. On lui avait fait subir des outrages verbaux et psychologiques.
Mais là nétait pas le pire,
mavait-elle dit. Loin sen fallait. Son mari de 70 ans avait également été
emprisonné et on lavait battu sans arrêt. Après sept mois de coups et
dinterrogatoires, il était mort en prison, en détention préventive chez les
militaires américains.
Elle pleurait en parlant de lui. " Mon
mari me manque ", sanglotait-elle, et elle se levait, ne nous parlant plus
mais sadressait à la pièce. " Il me manque tellement. "
Elle secouait les mains comme si elle voulait en faire tomber des gouttes deau
puis elle se tenait la poitrine et se mettait à pleurer de plus belle.
" Pourquoi nous font-ils
ça ? " demandait-elle. Elle ne pouvait tout simplement pas comprendre,
disait-elle, ce qui se passait parce que deux de ses fils étaient également détenus et
sa famille avait été complètement dispersée. " Nous navons rien
fait de mal ! " murmurait-elle.
Une fois linterview terminée, nous
regagnions notre voiture quand nous réalisâmes tous ensemble quil était 10 heures
du soir, et quil était déjà très tard pour être dehors, dans les rues de
Bagdad, très dangereuses. Elle nous demanda avec insistance si, au lieu, nous ne voulions
pas rester pour dîner, tout en me remerciant davoir écouté son horrible histoire,
de lui avoir consacré mon temps et décrire là-dessus. Jen demeurai sans
voix.
" Non, merci, il faut que nous
rentrions, maintenant ", dit Abou Talat. A ce moment-là, nous étions tous
en train de pleurer.
La voiture avait emprunté une autoroute de
Bagdad et, tout en fonçant tout droit sur la pleine lune, nous restions silencieux, Abou
et moi. Finalement, il me demanda : " Tu ne pourrais pas dire quelques
mots ? Tu ne dis rien ? "
Je ne pouvais rien dire. Rien du tout.
La destruction des
infrastructures
Tout en Irak, se passe dans un contexte
dinfrastructures démantelées et dabsence presque complète de
reconstruction. Ce que les Américains font encore de mieux, une fois de plus, ce sont des
promesses et leur propagande. Durant la période où lAutorité provisoire de
la Coalition dirigeait lIrak à partir de la Zone Verte de Bagdad, leurs tracts
étaient souvent rédigés comme celui-ci, sorti le 21 mai 2004 : " LAutorité
provisoire de la Coalition a récemment distribué des centaines de ballons de football [américain]
aux enfants irakiens de Ramadi, Kerbala et Hilla. Les femmes irakiennes de Hilla ont
cousu les ballons, ornés de la phrase Tous, nous participons au nouvel
Irak. "
Et pourtant, quand on en est venu aux bases
de ce nouvel Irak, le chômage était de 50% et en hausse, les meilleurs quartiers de
Bagdad disposaient de 6 heures délectricité par jour et il ny avait de
sécurité nulle part. Même en remontant aussi loin que janvier 2004, avant que la
situation de la sécurité paralyse presque complètement la plupart des projets de
reconstruction actuels, et neuf mois après la fin officielle de la guerre en Irak, la
situation frisait déjà la catastrophe. Par exemple, la pénurie deau potable
était devenue normale dans la quasi totalité de lIrak du centre et du Sud.
A lépoque, je travaillais sur un
rapport qui essayait de montrer exactement ce qui avait été reconstruit dans le secteur
de leau un secteur dont Bechtel était en grande partie responsable. Cette
société géante sétait vu accorder un contrat hors offre, en coulisse, de 680
millions de dollars le 17 avril 2003, montant qui, en septembre, fut porté à 1,03
milliard de dollars. Ensuite, Bechtel décrocha un contrat supplémentaire de 1,8 milliard
de dollars pour étendre son programme jusque décembre 2005.
A lépoque, lorsquil était
beaucoup plus facile de voyager pour les journalistes occidentaux, je marrêtai en
cours de route dans plusieurs villages au sud de Bagdad, dans ce que les Américains
appellent aujourdhui " le triangle de la mort ", dans la
direction de Hilla, Najaf et Diwaniyah, histoire de vérifier la situation de leau
potable de ces gens. A proximité de Hilla, un vieillard aux traits burinés me montra sa
pompe à eau à larrêt, flanquée dun réservoir vide : il ny
avait pas délectricité. Leau dont disposait son village était chargée de
sel se déversant dans la conduite deau parce que Bechtel navait pas honoré
ses obligations contractuelles consistant à remettre en état un centre de traitement de
leau tout proche. Un autre village du coin navait pas ce problème de sel,
mais les cas de nausée, de diarrhée, de pierres au reins, de crampes et même des cas de
choléra étaient de plus en plus fréquents. Ceci allait être une tendance constante
dans les villages que je visitai.
Le reste de ce périple entraîna une
tournée frénétique des villages. Aucun navait deau potable, à proximité
ou dans les limites urbaines de Hilla, Najaf et Diwaniya. Hilla, proche de lancienne
Babylone, dispose dun nouveau site de traitement de leau et un centre de
distribution dirigé par lingénieur en chef Salmam Hassan Kadel. M. Kadel me
déclara que la plupart des villages sous sa compétence navaient pas deau
potable et quil ne disposait pas de la tuyauterie nécessaire pour réparer leurs
systèmes à eau complètement détruits, pas plus quil navait de
contacts avec Bechtel ou ses sous-traitants.
Il me parla des nombres importants de
personnes samenant avec la liste habituelle des maladies. " Bechtel ",
me dit-il, " dépense tout son argent sans faire la moindre étude. Bechtel
repeint des bâtiments mais napporte pas deau potable aux gens qui sont morts
davoir bu de leau contaminée. Au lieu de repeindre des bâtiments, nous leur
demandons de nous donner une seule pompe à eau et nous lutiliserons pour apporter
leau à plus de monde. Plus rien na changé depuis que les Américains sont
ici. Nous savons que Bechtel gaspille de largent, mais nous ne pouvons pas le
prouver. "
Dans un autre petit village entre Hilla et
Najaf, 1500 personnes buvaient leau dun ruisseau sale coulant lentement à
proximité de leurs foyers. Toute le monde souffrait de dysenterie, beaucoup avaient des
pierres aux reins et un nombre étonnant souffrait du choléra. Un villageois, me montrant
un enfant malade, me dit : " Cétait beaucoup mieux avant
linvasion. Nous avions vingt-quatre heures deau courante, à lépoque.
Maintenant, nous buvons cette saleté, parce que cest tout ce que nous
avons. "
Le matin suivant me trouva dans un village
dans les faubourgs de Najaf et qui était sous la responsabilité du centre des eaux de
cette même ville. Une large fosse avait été creusée dans le sol où les villageois
siphonnaient de leau dans des conduites déjà existantes. Le trou sale se remplit
durant la nuit, quand on eut fini de collecter de leau. Ce matin, des enfants
désuvrés entouraient le trou tandis que les femmes vidaient les restes deau
sale qui se trouvaient au fond. Tout le monde, semblait-il souffrait de quelque
maladie provoquée par leau et plusieurs enfants, me dirent les villageois, avaient
été tués en tentant de traverser une grand-route fort fréquentée menant à une usine
où, en fait, on pouvait trouver de leau potable.
En juin, six mois plus tard, je visitais
lhôpital Chuwader qui, à lépoque, traitait 3.000 patients par jour à Sadr
City, le gigantesque quartier pauvre de Bagdad. Le Dr Qasim al-Nuwesri, directeur
principal de lendroit, se mit bien vite à décrire les combats menés par son
hôpital sous loccupation. " Nous manquons de chaque
médicament ", dit-il, en faisant remarquer que la chose avait été très
rare avant linvasion. " Cest interdit, mais parfois, il nous faut
réutiliser les intraveineuses, même les aiguilles. Nous navons pas le
choix. "
Et puis, naturellement, à linstar
des autres médecins à qui jai parlé, il a amené sur le tapis leur cruel
problème de leau, lindisponibilité deau non polluée partout dans la
région. " Bien sûr, nous avons la typhoïde, le choléra, les calculs
rénaux ", dit-il prosaïquement, mais nous avons même désormais la très
rare hépatite de type E (
) qui est même devenue commune dans notre
secteur. "
En quittant les rues remplies deaux
usées et parsemées dimmondices de Sadr City, nous franchîmes un mur sur lequel on
avait peint à la bombe " Vietnam Street ". Juste en dessous, il y
avait la phrase suivante, destinée sans aucun doute aux libérateurs américains, " Nous
creuserons vos tombes en cet endroit. "
Aujourdhui, en termes
deffondrement des infrastructures, dautres zones de Bagdad commencent à
souffrir de la même façon que Sadr City a souffert à lépoque (et souffre
toujours aujourdhui). Alors que les projets de reconstruction prévus pour Sadr City
se sont vu allouer davantage de fonds, la plupart du temps, il ny a guère de signe
montrant que lon travaille et cest le cas de la majeure partie de Bagdad.
Alors quavec le prolongement de la
crise du carburant, on trouve des gens qui attendent deux jours durant pour remplir leur
réservoir aux pompes à essence, lensemble de la ville fonctionne la plupart du
temps sur des générateurs et maintes zones moins favorisées, comme Sadr City, par
exemple, ne disposent que de quatre heures de courant par jour.
Des villes anéanties
La tactique aux mains lourdes des forces
doccupation est devenue un fait habituel, dans la vie en Irak. Jai interviewé
des personnes qui dorment régulièrement tout habillées du fait que les raids aériens
sont désormais la norme. Très souvent, quand des patrouilles militaires sont attaquées
par les combattants de la résistance dans les villes de lIrak, les soldats ouvrent
simplement le feu en tous sens et sur tout ce qui bouge. Plus communément, les lourdes de
pertes civiles sont imputables aux raids aériens des forces doccupation. Ces
circonstances horribles ont provoqué plus de 100.000 pertes en vies humaines civiles chez
les Irakiens en moins de deux années doccupation.
Puis il y a Fallujah, une ville dont les
trois quarts aujourdhui ont subi des bombardements ou sont réduits en ruines, une
ville dont les ruines sont toujours le cadre de combats même si la plupart des résidents
attendent encore lautorisation de rentrer chez eux (dont un grand nombre
nexistent plus). Les atrocités commises en cette ville, ces derniers temps, sont
pour une bonne part similaires à celles observées durant le siège avorté de la ville
par les marines américains, en avril dernier, quoique sur une plus grande échelle. En
outre, cette fois, des rapports des familles de lintérieur de la ville, de même
que des preuves photographiques, semblent prouver que larmée américaine sest
servie darmes chimiques et au phosphore, ainsi que de bombes à fragmentation. Les
quelques résidents qui ont été autorisés à rentrer chez eux au cours de la dernière
semaine de 2004 se sont vu refiler des prospectus produits par larmée leur
enjoignant de ne consommer aucune nourriture provenant de la ville ni den boire la
moindre eau.
En mai dernier, à lhôpital
général de Fallujah, des médecins mont parlé du genre datrocités qui se
sont produites durant le premier siège dun mois de la ville. Le Dr Abdul Jabbar, un
chirurgien orthopédiste, ma déclaré quil était malaisé de garder des
traces du nombre de personnes quils avaient traités, de même que du nombre de
morts, vu labsence de documentation à ce propos. Tout cela a été causé en
premier lieu par le fait que le principal hôpital, situé sur la rive opposée de
lEuphrate, a été isolé par les marines durant la plus grande partie du mois
davril, comme il allait dailleurs encore lêtre en novembre 2004.
Il estimait quau moins 700 personnes
avaient été tuées à Fallujah au cours de ce mois davril. " Jai
travaillé dans cinq des centres [cliniques communautaires de santé] moi-même, et
si nous rassemblons les chiffres de ces différents endroits, ça vous fait ce
nombre ", dit-il. " Et tenez également compte du fait que de
nombreuses personnes ont été enterrées avant que les autres narrivent à nos
centres. "
Quand le vent sest mis à souffler
depuis le quartier tout proche de Julan, lodeur putride des corps en décomposition
(une puanteur évidemment typique de la ville, une fois de plus) ne fit que confirmer
cette déclaration. Même à ce moment, le Dr Jabbar insistait sur le fait que les avions
américains avaient largué des bombes à fragmentation sur la ville. " Des
tas de gens ont été blessés ou tués par ces bombes à fragmentation. Mais cest
bien sûr, quils ont utilisé des bombes à fragmentation. Nous les avons entendues
aussi bien que les personnes que nous avons traités et qui avaient été touchées par
elles ! "
Le Dr Rashid, un autre chirurgien
orthopédiste, déclara : " Pas moins de soixante pour-cent des morts
étaient des femmes et des enfants. Vous pouvez aller voir les tombes
vous-même. " Javais déjà visité le cimetière des Martyrs et
javais en effet observé les nombreuses tombes minuscules qui, manifestement,
avaient été creusées pour des enfants. Il était daccord avec le Dr Jabbar à
propos de lemploi des bombes à fragmentation et il ajouta : " Jai
vu ces bombes à fragmentation de mes propres yeux. Nous navons aucunement besoin de
preuves. La plupart de ces bombes sont tombées sur les personnes que nous avons traitées
à ce moment-là. "
Evoquant la crise médicale que son
hôpital avait dû affronter, il fit remarquer que durant les dix premiers jours des
combats, les militaires américains ne permirent absolument aucune évacuation de Fallujah
vers Bagdad. Il ajouta : " Même transférer des patients dans la ville
était impossible. Vous pouvez voir nos ambulances dehors. Leurs tireurs embusqués ont
également tiré dans les portes principales dun de nos centres. " Et,
en effet, plusieurs ambulances étaient dans le parking de lhôpital, et deux
dentre elles avaient des impacts de balles dans le pare-brise.
Les deux docteurs déclarèrent quils
navaient pas été contactés par les militaires américains et que larmée ne
leur avait pas fourni la moindre aide. Le Dr Rashid résuma la situation de la façon
suivante : " Ils nenvoient que des bombes, mais pas de
médicaments. "
Comme je me rendais à notre voiture, à un
endroit de ce qui était déjà la désolation de Fallujah, un homme me heurta le bras et
me cria : " Les Américains sont des cow-boys ! ceci est leur
histoire ! Voyez ce quils ont fait aux Indiens ! Le Vietnam !
LAfghanistan ! Et maintenant, lIrak ! Cela ne nous surprend
pas ! "
Et cela, naturellement, se passait bien
avant que ne débute le siège total de la ville, en novembre 2004. La campagne
davril à Fallujah, qui résultat en une intensification de la résistance,
sest avérée linstar de beaucoup de choses qui se sont passées au
cours des premiers mois de 2004 nêtre quun échantillon des faits qui
allaient se produire à une bien plus grande échelle. Alors que le but du dernier siège
avait été de faire patauger la résistance et doffrir une plus grande sécurité
aux élections prévues pour le 30 janvier, le résultat, comme en avril, avait été
nimporte quoi, sauf un accroissement de la sécurité.
Dans le sillage de la destruction de
Fallujah, les combats se sont tout simplement étendus et intensifiés partout. Des
familles fuient aujourdhui Mossoul, la troisième plus grande ville de lIrak,
en raison de la mise en garde contre une prochaine campagne aérienne lancée contre les
combattants de la résistance. Une voiture piégée au moins par jour, telle est la norme
dans la capitale. Des explosions se font entendre avec une régularité mortelle partout
dans Bagdad de même que dans les villes comme Ramadi, Samarra, Baquba et Balad.
Lintensification se rencontre dans
les deux camps. Avec chaque surenchère de la violence, la tactiques des militaires
américains ne fait que se durcir et, quand ils le font, la résistance irakienne, de son
côté, saccroît tout simplement en ampleur et en efficacité. Toute forme de
" siège " contre Mossoul ne fera quintensifier cette dynamique.
Malgré un black-out des médias dans le
sillage du récent assaut contre Fallujah, des histoires de chiens dévorant des cadavres
dans les rues de la ville et de mosquées détruites se sont répandues à travers
lIrak comme une traînée de poudre et des rapports de ce genre ne font que
souligner ce que la plupart des gens en Irak croient aujourdhui que les
libérateurs sont devenus ni plus ni moins que les brutaux occupants impérialistes de
leur pays. Et alors, la résistance ne fait que sintensifier encore.
Pourtant, parmi les Irakiens, il y a
longtemps quon avait prédit ce durcissement de la résistance. Un moment
révélateur pour moi vint en juin dernier avec les voiture suicides quotidiennes à
Bagdad. Alors que les séquences montrant des voitures aux vitres brisées et aux impacts
de balles dans leur carrosserie apparaissaient sur les écrans de télévision, mon
traducteur Hamid, un homme dun certain âge qui sétait déjà lassé de toute
cette violence, me dit doucement : " Ca a commencé. Ce nest que
le début, et ils ne sarrêteront pas. Même après le 30 juin. " Le
30 juin, bien sûr, était la date de la passation de
" souveraineté ", promise depuis longtemps, à un nouveau
gouvernement irakien, après quoi, prédisaient avec ferveur les hauts responsables
américains, la violence dans le pays allait commencer à décliner. Le même schéma de
prédiction et de réalité contraire peut se voir aujourdhui en ce qui concerne
lapproche des élections.
Il y a trois semaines, un de mes amis, un
cheikh de Baquba ma rendu visite à Bagdad et nous avons pris le lunch avec
Abdullah, un professeur âgé qui est lun de ses amis. Comme nous mangions, Abdullah
exprima un sentiment quon entend très souvent, aujourdhui : " Les
moudjahidin ", dit-il, " combattent pour leur pays contre les
Américains. Cette résistance est acceptable, à nos yeux. "
Récemment, ladministration a accru
ses effectifs en Irak, les portant de 138.000 hommes à 150.000 afin, disent les
fonctionnaires, dassurer une plus grande sécurité lors des élections prochaines.
De telles augmentations deffectifs ont également eu lieu au Vietnam. A
lépoque, on appelait ça de lescalade.
Ce que je me demande, cest si
jécrirai un article en janvier prochain, intitulé " Irak : la
dévastation ", dans lequel ces terribles derniers mois de 2004 (et dont le
premier semestre de lannée nétait quun pâle avant-goût) ne
savéreront à leur tour quêtre une prévision de nouvelles horreurs à
venir ? Et que se passera-t-il alors en 2006 et 2007 ?
* Dahr Jamail est un
journaliste indépendant dAnchorage, en Alaska. Il a passé sept des douze derniers
mois à faire des reportages à partir de lIrak occupé. Ses articles ont été
publiés dans The Sunday Herald, Inter Press Service, sur le website de Nation Magazine,
et sur le site dinfos internet de New Standardpour le compte duquel il était
correspondant en Irak. Il est également le correspondant spécial en Irak de la radio
Flashpoints et on la également vu à la BBC dans Democracy Now!, Free Speech Radio
News et Radio South Africa.
Copyright 2004 Dahr Jamail, Traduit de l' anglais par
Jean-Marie Flemal
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06.10.2003 - Buts de guerre et bilan
stratégique de l'attaque en Irak par Thierry Meyssan,
Président du réseau Voltaire Alors que Washington tentait de
maintenir le prétexte des armes de destruction massive pour justifier son attaque, les
véritables mobiles de l'invasion de l'Irak sont apparus progressivement. Démonstration
de puissance militaire, contrôle tactique des ressources pétrolières, reformatage
politique et économique du Proche-Orient, tels étaient les objectifs inavoués de
l'administration Bush. Six mois après la prise de Bagdad par les États-Unis, quel est
bilan stratégique de la campagne d'Irak ?
En plein scandale sur l'inexistence des armes de
destruction massive, la question se pose de savoir pourquoi les États-Unis, la
Grande-Bretagne et quelques autres ont attaqué l'Irak, un pays revenu au
sous-développement à la suite de la longue guerre contre l'Iran, de la Guerre du Golfe,
et de dix ans d'embargo.
Comme toujours pour ce type de décision, il n'y a pas un,
mais plusieurs mobiles à l'invasion de l'Irak, qui correspondent à des intérêts
particuliers différents. En voici les trois principaux :
1- L'économie états-unienne est exangue. Le pays produit
de moins en moins et achète de plus en plus. Il paie ses importations avec de la monnaie
de singe : des dollars qu'il imprime par milliards chaque jour (voir à ce sujet
« Le talon
d'Achille des USA »). Cette monnaie devrait s'être effondrée depuis longtemps,
mais les banques centrales des autres pays continuent à l'utiliser uniquement parce que
personne n'ose rien refuser à la première puissance militaire du monde. Les États-Unis
sont ainsi condamnés à une fuite en avant : ils doivent continuer à faire peur au
monde s'ils ne veulent pas être subitement ruinés. Ils se sont donc lancés dans une
guerre perpétuelle qu'il baladent d'Afghanistan en Irak, bientôt peut-être en Syrie.
2- Le contrôle et l'approvisionnement en énergie et en
matières premières est nécessaire aux États-Unis pour maintenir leur pression sur les
autres pays développés. Cette stratégie a été théorisée, il y a déjà vingt ans,
par le docteur Henry Kissinger. En attaquant l'Irak, Washington espérait reprendre le
contrôle du marché mondial du pétrole.
Cependant, cette pression économique et militaire, si
elle intimide des pays isolés, se heurte à des unions de pays qui, elles, peuvent être
en situation de garantir leur approvisionnement en énergie et en matières premières. De
ce point de vue, Washington doit empêcher les tentatives franco-allemandes de créer une
Europe politique capable de rivaliser avec les États-Unis. Ce risque est d'autant plus
important que la France, l'Allemagne et plusieurs autres États européens ont adopté une
monnaie unique rivalisant avec le dollar. C'est pourquoi, dès 1992, dans un célèbre
rapport, Paul Wolfowitz, l'actuel n°2 du département de la Défense, écrivait qu'il
fallait saboter l'Europe politique et détruire de petits pays pour montrer la puissance
de l'Amérique et dissuader les Français et les Allemands de jouer à la grande puissance
(lire à ce sujet « L'éclatement du continent
européen au service des États-Unis »).
3- Enfin, attaquer l'Irak devait permettre de
« remodeler le Proche-Orient » selon l'expression du conseiller du Pentagone,
Richard Perle. « Remodeler le Proche-Orient » cela veut dire « le faire
entrer dans la démocratie de marché ». En d'autres termes, il s'agit d'installer
des régimes politiques qui renoncent à défendre leurs intérêts nationaux de sorte que
les multinationales états-uniennes puissent faire main-basse sur toutes les richesses de
la région. Et, au cours de ce processus de formatage économique et politique, il est
possible d'envisager de régler définitivement le problème israélo-palestinien en
créant un État palestinien dans une zone aride d'Irak et en y transférant les
misérables qui s'acharnent à vivre à Gaza et en Cisjordanie. Ce projet de déportation
a été énoncé, en 1942, par le congrès sioniste réuni à New York à l'hôtel
Biltmore. Il a été remis à l'ordre du jour, en 1996, quant Richard Perle était le
conseiller de Benjamin Netanyahu. Perle est aujourd'hui le conseiller de Donald Rumsfeld.
Six mois après la chute de Bagdad, où en est-on dans la
réalisation de ces objectifs ?
1- À force de déclarer que les GI's seraient acclamés
en libérateurs par la population irakienne, le Pentagone avait fini par croire à sa
propre propagande. Il est aujourd'hui dépassé par la situation de chaos qu'il a
provoqué. On ignore l'étendue des dégâts causés par les bombardements. On ne sait
s'ils doivent être chiffrés en dizaines ou en centaines de milliards de dollars. On ne
sait pas non plus le nombre des victimes des bombardements. Le Central Command assure
contre toute évidence qu'elles sont peu nombreuses. Il va de soi que chaque missile est
tiré pour tuer et blesser. Et la Coalition a tiré plusieurs milliers de missiles sur les
villes irakiennes. Et il est probable que la plupart des blessés sont morts, car les
hôpitaux, privés de médicaments, n'avaient aucun moyen de les soigner. Il n'existe pas
à ce jour de bilan officiel de cette guerre et l'envoyé spécial de l'ONU qui devait
l'établir, Sergio Viera de Mello, a été assassiné.
La population irakienne est lentement sortie de son
hébétude, après des semaines de bombardements intensifs. Elle s'est alors préoccupée
de sa survie, dans un pays désormais largement privé d'eau et d'électricité. Petit à
petit une résistance à l'envahisseur s'organise. Les experts étrangers estiment que
plus de 6000 GI's ont été blessés au cours des affrontements de l'après-guerre, dont
1500 gravement. Mais ces chiffres sont censurés aux États-Unis où le Pentagone ne
comptabilise que les soldats morts, bientôt deux cents.
Les États-Unis conduisent maintenant deux politiques
simultanées pour se retirer de ce bourbier. D'une part, ils cherchent à se défausser
sur l'ONU pour assurer l'ordre public dans ce pays qu'ils ont dévasté. D'autre part, ils
réorganisent les forces de répression de Saddam Hussein, parce qu'il n'y a personne
d'autre pour faire la police. L'ancien chef de la police de New York est venu former 40
000 policiers irakiens. Ces hommes, qui servirent la dictature de Saddam Hussein avec la
brutalité que l'on sait, ont suivi un stage de trois semaine au cours duquel ils sont
censés avoir appris le respect de la loi et des droits de l'homme. Et l'on s'apprête,
sur le même modèle, à former maintenant les agents de renseignement. En somme, les
États-Unis reconstituent la dictature de Saddam Hussein, sans Saddam Hussein. Or, les
Irakiens se souviennent que Saddam Hussein fut longtemps le protégé des États-Unis et
que des instructeurs états-uniens encadrèrent jadis ses forces de répression. Aussi
résument-ils, désabusés, cette situation en citant ce vieil adage : « Le
disciple s'en va, le maître arrive ».
La guerre ambulante est donc provisoirement domiciliée en
Irak. La tournée des GI's au Proche-Orient ne pourra se poursuivre en Syrie qu'une fois
l'ordre revenu là-bas.
2- Question contrôle du pétrole et privatisation de
l'économie, les objectifs sont largement tenus. Une autorité indépendante a été
constituée pour gérer le pétrole « dans l'intérêt des Irakiens ». Elle
échappe au Conseil de gouvernement transitoire et est contrôlée directement par la
Coalition. Les fonctions importantes sont assumées par des cadres des grandes compagnies
pétrolières états-unienne et hollandaise.
La reconstruction des infrastructures détruites par les
bombardements a été confiée à des entreprises états-uniennes liées au clan Bush
(voir « Irak :
à qui profite la reconstruction ? »). Le groupe de travaux public Bechtel
s'est taillé la part du lion. Il est administré par l'ancien secrétaire d'État George
Schultz, et ex-associé de Donald Rumsfeld. L'autre grand bénéficiaire des contrats de
reconstruction, n'est autre qu'Halliburton, la compagnie dont Dick Cheney était le patron
avant de devenir vice-président des États-Unis.
Mais le pire reste à venir. Lors du sommet du FMI à
Dubaï, il y a deux semaines, le ministre irakien de l'économie a annoncé la
privatisation à 100 % des entreprises publiques et l'abrogation de la loi interdisant la
détention d'entreprises nationales par des étrangers. C'est ce que l'on appelle la
désocialisation du pays. Les investisseurs états-uniens et israéliens se sont jetés
sur l'aubaine. Pour éviter d'effrayer la population irakienne et pour traiter avec elle,
ces investisseurs font souvent appel à des hommes d'affaires jordaniens qui jouent les
hommes de paille.
Le gouverneur Paul L. Bremer s'est adjoint le conseil de
spécialistes pour organiser ce pillage. Depuis quelques jours, il est notamment assisté
de l'ancien président bulgare Peter Stoyanov, qui a déjà ruiné son pays au profit des
multinationales US. Et surtout Yegor Gaïdar, l'ancien vice-premier ministre russe de
Boris Eltsine, qui divisa le pays en une dizaine de parts et les offrit à des amis, les
oligarques, qui constituèrent de gigantesques organisations criminelles.
Concernant l'intimidation de l'Union européenne, la
guerre en Irak n'a porté qu'à moitié ses fruits. Certes l'Union est désormais
paralysée. L'élargissement de 15 à 25 États membres rend impossible la définition
d'une politique commune, d'autant plus que les nouveaux entrants sont majoritairement
atlantistes. Mais la paralysie de l'Union a encouragé l'Allemagne, la Belgique et la
France à envisager un rapprochement accéléré qui pourrait déboucher bientôt sur la
création d'une citoyenneté commune, d'un passeport unique, et d'une politique
étrangère commune.
3- Enfin, concernant le projet Perle de création d'un
État palestinien en Irak et la déportation des populations de Gaza et de Cisjordanie,
les choses sont au point mort et la communauté internationale est mobilisée pour s'y
opposer. Le gouvernement Sharon lui-même est divisé sur l'opportunité de réaliser ce
plan. Cependant le général Ariel Sharon a compris que les États-Unis sont
provisoirement en position de faiblesse puisque l'enlisement en Irak les empêche de
promener leur guerre ambulante. Il a proposé les services de son armée de l'air pour
sous-traiter le bombardement de la principale centrale nucléaire civile iranienne, comme
le fit Israël en 1981 en bombardant Osirak, la centrale nucléaire irakienne. Ne
disposant pas des bombardiers ayant un rayon d'action suffisant, ni des satellites
d'observation nécessaires pour opérer ce raid, le général Sharon est allé négocier
l'appui logistique de l'Inde. Il a alors commencé à faire chanter l'administration
Bush : laisser-nous éliminer Arafat si vous voulez que nous détruisions pour vous
la centrale iranienne.
Six mois après la chute de Bagdad, les véritables
objectifs de guerre états-uniens sont en passe d'être atteints. Mais paradoxalement, ils
pourraient ne jamais l'être totalement car Washington ne contrôle plus le processus
qu'il a enclenché. L'administration Bush avait en effet oublié un paramètre : les
peuples n'acceptent pas toujours de se faire manipuler.
Thierry Meyssan , Journaliste et écrivain,
président du Réseau Voltaire
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