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Libres Paroles sur le Colonialisme

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16.06.2005 - Lettre d'Afrique: Mrs les presidents G w bush et T blair,je me permets de vous ècrire à propos d'un sujet tres intéressant ,car j'ose esperer que vous allez réagir pour le bien de tous les africains. En effet ,bientot se sera le sommet du G8 pour le quel mr Blair a sollicité l'annulation de la dette africaine et l'augmentation de l'aide au  developpement pour les pays pauvres.

Je tiens à vous signaler qu'il y' a des décénies et des décénies que le continent africain reçoit de l'aide en provenance des pays riches pour relancer son economie ;mais la population africaine n'a jamais aperçu l'ombre d'un dollard ,la preuve la situation des populations est toujours difficile sinon pire encore.

C'est la raison pour laquelle je vous demande Mrs les presidents ,vous qui avez les pouvoirs de faire changer le cours des choses ,de revoir à qui donner ces aides pour améliorer la situation de ces africains(mais je vous en prie ne les donner surtout pas aux dirigeants politiques qui depuis des années et des années ne font que des detournements de ces aides à des fins personnels).

Les gens sont tres fatigués en afrique ,la famine y régne encore sans compter les maladies qui nous suppriment comme si on était des mouches ,le chomage fait des ravages,la prostitution ,la délinquance et j'en passe et j'en passe. Le principal probléme de l'emmigration en afrique ,c'est nos"presidents" qui ne se soucient pas de l'avenir de leur peuple,car malgré l'aide qu'ils  reçoivent aucun investissement n'est fait pour créér des emplois et améliorer la situation des africains.Et les africains en ont marre de cette misére qui durent depuis des années et la seule solution c'est l'emmigration pour un avenir meilleur. Veuillez reçevoir mes salutations distinguées. n deye arame tall

Réponse ou prolongement à "Lettre d'Afrique" du 16.06.05: Peut-être est-ce du au fait que le hommes mis en place par les anciens pays colonisateurs ont-ils été choisis au sein des bourgeoisies nationales qui font leur l'idéologie de leurs colonisateurs.

06.02.2005 - Irak : la dévastation, par Dahr Jamail (*)

La dévastation de l’Irak ? Par où vais-je commencer ? Après avoir travaillé sept des douze derniers mois en Irak, je suis toujours accablé, ne serait-ce déjà que par l’idée de m’y mettre, par les tentatives de description de cette dévastation.

La guerre et l’occupation illégales de l’Irak ont été menées pour trois raisons, s’il faut en croire l’administration Bush. La première, ce sont les armes de destruction massive, qu’on a toujours pas trouvées. La seconde, parce que le régime de Saddam Hussein entretenait des liens avec al-Qaïda, ce qui n’a jamais été prouvé, et même M. Bush l’a admis personnellement. La troisième raison, contenue dans le nom donné à l’invasion, " Opération Liberté de l’Irak ", résidait dans la volonté de libération du peuple irakien.

Ainsi donc, aujourd’hui, l’Irak est un pays libéré.

L’un dans l’autre, j’ai vécu dans Bagdad libéré et dans ses environs durant douze mois, période pendant laquelle je me suis également trouvé à l’intérieur de Fallujah durant le siège d’avril et, plus d’une fois, des militaires m’ont tiré des coups de semonce par-dessus la tête. J’ai voyagé dans le Sud, dans le Nord et en tous sens dans le centre de l’Irak. Toutefois, ce que j’ai vu au cours des premiers mois de 2004, à l’époque où il était plus facile pour un journaliste étranger de parcourir le pays, offrait une aperçu – souvent prévisible – des horreurs à venir au cours de la suite de l’année (et à coup sûr, en 2005 aussi). Il est intéressant de retourner au premier semestre, désormais oublié, de l’an dernier et de se rappeler à quel point la situation était horrible pour les Irakiens, même dans les premiers temps de notre occupation de leur pays.

Pour les Irakiens, à l’époque, et encore aujourd’hui, notre invasion et notre occupation était une affaire de libération des droits de l’homme (pensez-y : les atrocités commises à Abou Ghraïb ont toujours lieu aujourd’hui, là comme partout ailleurs), de libération d’une infrastructure en état de fonctionnement (pensez-y aussi : aujourd’hui, l’approvisionnement en électricité fonctionne très mal, et cela vaut aussi pour les innombrables kilomètres de conduite de gaz ou d’égouts dans les rues), de libération de la possibilité de vivre dans toute une ville (pensez-y encore : Fallujah, aujourd’hui, dont la majeure partie a été rasée par les bombardements aériens et autres moyens de guerre).

A l’époque, les Irakiens étaient déjà amers, désorientés, et il leur fallait vivre dans une désolation causée par des myriades de promesses non tenues de l’administration Bush. Chaque Irakien libéré, pour ainsi dire, qu’il m’a été donné de rencontrer aux tout premiers jours de mon séjour dans le pays, a soit un parent ou un ami qui a été tué par les soldats américains ou par les effets de la guerre et de l’occupation. Ces derniers comprennent des choses tellement quotidiennes de la vie, tel le fait de ne pas avoir assez d’argent pour se nourrir ou se chauffer, en raison du chômage massif et des prix des combustibles en forte hausse, ou encore la moindre des innombrables autres horreurs provoquées par les faits et opérations déjà mentionnées plus haut. Les promesses rompues, les infrastructures détruites et les villes irakiennes anéanties, tout cela était déjà nettement visible durant les premiers mois de 2004, et le plus triste, c’est que les dévastations que j’ai vues n’ont fait qu’empirer depuis. L’existence que les Irakiens menaient il y a un an, tout horrible qu’elle fût, n’était encore qu’un prélude de ce qui allait venir sous l’occupation américaine. Les signes avant-coureurs d’une résistance violente en devenir étaient bien visibles, depuis la destruction des infrastructures jusqu’à toutes ces tortures.

Les promesses rompues

Il a été très vite évident, même pour un nouveau venu s’adonnant au journalisme et même au cours de ces tout premiers mois de l’an dernier, que la nature réelle de la libération que nous apportions à l’Irak n’avait rien d’un scoop pour les Irakiens. Bien avant que les médias américains décident qu’il était temps de faire état des horreurs qui se perpétraient à l’intérieur de la prison d’Abou Ghraïb, la plupart des Irakiens savaient déjà que les " libérateurs " de leur pays torturaient et humiliaient leurs compatriotes.

En décembre 2003, à Bagdad, par exemple, un homme m’a dit, en faisant état des atrocités d’Abou Ghraïb : " Pourquoi recourent-ils à ce genre d’actions ? Même Saddam ne faisait pas ça ! Ce n’est pas un bon comportement. Ils ne sont pas venus pour libérer l’Irak ! " Et, à l’époque, les plaisanteries de très mauvais goût des coalisés commençaient déjà à circuler. Avec cet humour noir qui est devenu si populaire à Bagdad aujourd’hui, un détenu d’Abou Ghraïb récemment libéré m’a déclaré, alors que je l’interviewais : " Les Américains m’ont mis le courant au derrière avant de l’amener à ma maison ! "

Sadiq Zoman est un cas assez typique de ce que j’ai vu. Emmené de chez lui à Kirkuk par les forces américaines, en juillet 2003, il a été détenu dans une installation de détention militaire près de Tikrit avant d’être largué dans le coma à l’hôpital général Salahadin. Alors que le rapport médical qui l’accompagnait, signé par le lieutenant-colonel. Michael Hodges, déclarait que M. Zoman était comateux après une crise cardiaque causée par un coup de chaleur, il ne mentionnait pas qu’on l’avait matraqué à la tête, ni ne parlait des marques de brûlures à l’électricité qui couvraient son pénis et les plantes de ses pieds, ni les nombreuses contusions et marques de flagellation que portait tout son corps.

J’ai rendu visite à son épouse Hashmiya et à ses huit filles dans uen maison presque vide à Baghdad. La majeure partie de leurs biens avaient été vendus afin de pouvoir subsister. Un ventilateur tournait lentement au-dessus du lit de Zoman qui, le regard absent, fixait le plafond. Un petit générateur d’appoint toussotait à l’extérieur puisque, dans ce quartier, comme presque partout à Bagdad, il n’y avait que six heures de courant par jour.

Sa fille, Rheem, qui allait au collège, exprima tous les sentiments de la famille quand elle dit : " Je hais les Américains pour avoir fait ça. Quand ils ont emmené mon père, ils m’ont pris ma vie. Je prie pour qu’on prenne notre revanche sur les Américains, parce qu’ils ont détruit mon père, mon pays et ma vie. "

En pai 2004, quand je me suis rendu chez eux, un procès en cour martiale contre l’un des soldats complices des tortures pratiquées de façon répandue sur les Irakiens à Abou-Ghraïb venait tout juste d’avoir lieu. L’homme avait été condamné à une légère peine de prison, mais cela n’avait fait aucune impression sur les Irakiens. Ils avaient été convaincus une fois de plus – non qu’ils en eussent éprouvé le besoin – que les promesses de l’administration Bush de revoir ses règlements en ce qui concernait la façon de traiter les Irakiens détenus n’étaient pas moins creuses que celles qui leur avaient été faites à propos de l’aide dans la construction d’un Irak sécurisé et prospère.

L’an dernier, les promesses creuses de soumettre à la justice le personnel impliqué dans ces actes de haines, de même que les promesses de rendre la prison d’Abou Ghraïb plus transparente et accessible, sont tombées sur des parents angoissés, attendant aux portes de la prison dans l’espoir d’apercevoir leurs bien-aimés à l’intérieur. Sous un écrasant soleil de mai, je me suis rendu dans la " zone d’attente " poussiéreuse, lugubre, étroitement gardée en entourée de fils coupants, à l’extérieur d’Abou Ghraïb. J’y ai entendu les histoires tout aussi horribles les unes que les autres que racontaient des parents tristes, rassemblés avec obstination sur ce bout de terre battue, espérant encore malgré tout qu’on leur accorderait une visite à l’un des leurs détenu dans cet horrible bâtiment.

Vêtu de sa dishdasha blanche, accroupi à l’écart sur laz crasse durcie, sa coiffe s’agitant mollement dans le vent sec et chaud, Lilu Hammed avait le regard imperturbablement fixé sur les hautes murailles de la prison toute proche, comme s’il tentait d’apercevoir son fils de 32 ans, Abbas, a travers les murs de béton. Quand mon interprète Abou Talat lui demanda s’il voulait nous parler, quelques secondes s’écoulèrent avant que Lilu tourne doucement la tête et dise tout simplement : " Je suis assis ici, sur le sol, et j’attends l’aide de Dieu. "

Son fils, sans avoir jamais été accusé de quoi que ce soit, était à Abou Ghraïb depuis six mois après qu’une descente chez lui n’ait pas permis de trouver la moindre arme. Lilu tenait un billet d’autorisation de visite tout chiffonné qu’il avait obtenu et qui lui promettait de pouvoir visiter son fils… à trois mois de là, le 18 août.

De même que toutes les personnes que j’ai interrogées sur place, Lilu n’avait trouvé de consolation ni dans le récent procès en cour martiale, ni dans la libération de quelques centaines de prisonniers. " Cette cour martiale est une absurdité. Ils disaient que les Irakiens pourraient assister au procès, mais ce n’a pas été le cas. C’était un faux procès. "

A ce moment, un convoi de Humvee remplis de soldats, les armes pointées par les petites ouvertures, passa en grondant par l’entrée principale du complexe pénal, soulevant un épais nuage de poussière qui enveloppa rapidement tout le monde. La parente d’un autre prisonnier, Madame Samir, écartan,t les nuages de poussière, déclara : " Nous espérons que le monde entier pourra voir la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement ! ", avant d’ajouter, de façon plaintive : " Pourquoi nous font-ils ça ? "

L’été dernier, j’interviewais une femme de 55 ans, très gentille, qui travaillait comme professeur d’anglais. Elle avait été emprisonnée quatre mois durant dans de nombreuses prisons… à Samarra, Tikrit, Bagdad et, naturellement, à Abou Ghraïb. On le lui avait jamais permis de dormir une nuit entière. Elle avait été interrogée à plusieurs reprises chaque jour, on ne lui donnait pas assez de nourriture ou d’eau, elle n’avait pas pu voir un avocat, ni sa famille. On lui avait fait subir des outrages verbaux et psychologiques.

Mais là n’était pas le pire, m’avait-elle dit. Loin s’en fallait. Son mari de 70 ans avait également été emprisonné et on l’avait battu sans arrêt. Après sept mois de coups et d’interrogatoires, il était mort en prison, en détention préventive chez les militaires américains.

Elle pleurait en parlant de lui. " Mon mari me manque ", sanglotait-elle, et elle se levait, ne nous parlant plus mais s’adressait à la pièce. " Il me manque tellement. " Elle secouait les mains comme si elle voulait en faire tomber des gouttes d’eau… puis elle se tenait la poitrine et se mettait à pleurer de plus belle.

" Pourquoi nous font-ils ça ? " demandait-elle. Elle ne pouvait tout simplement pas comprendre, disait-elle, ce qui se passait parce que deux de ses fils étaient également détenus et sa famille avait été complètement dispersée. " Nous n’avons rien fait de mal ! " murmurait-elle.

Une fois l’interview terminée, nous regagnions notre voiture quand nous réalisâmes tous ensemble qu’il était 10 heures du soir, et qu’il était déjà très tard pour être dehors, dans les rues de Bagdad, très dangereuses. Elle nous demanda avec insistance si, au lieu, nous ne voulions pas rester pour dîner, tout en me remerciant d’avoir écouté son horrible histoire, de lui avoir consacré mon temps et d’écrire là-dessus. J’en demeurai sans voix.

" Non, merci, il faut que nous rentrions, maintenant ", dit Abou Talat. A ce moment-là, nous étions tous en train de pleurer.

La voiture avait emprunté une autoroute de Bagdad et, tout en fonçant tout droit sur la pleine lune, nous restions silencieux, Abou et moi. Finalement, il me demanda : " Tu ne pourrais pas dire quelques mots ? Tu ne dis rien ? "

Je ne pouvais rien dire. Rien du tout.

La destruction des infrastructures

Tout en Irak, se passe dans un contexte d’infrastructures démantelées et d’absence presque complète de reconstruction. Ce que les Américains font encore de mieux, une fois de plus, ce sont des promesses – et leur propagande. Durant la période où l’Autorité provisoire de la Coalition dirigeait l’Irak à partir de la Zone Verte de Bagdad, leurs tracts étaient souvent rédigés comme celui-ci, sorti le 21 mai 2004 : " L’Autorité provisoire de la Coalition a récemment distribué des centaines de ballons de football [américain] aux enfants irakiens de Ramadi, Kerbala et Hilla. Les femmes irakiennes de Hilla ont cousu les ballons, ornés de la phrase ‘Tous, nous participons au nouvel Irak’. "

Et pourtant, quand on en est venu aux bases de ce nouvel Irak, le chômage était de 50% et en hausse, les meilleurs quartiers de Bagdad disposaient de 6 heures d’électricité par jour et il n’y avait de sécurité nulle part. Même en remontant aussi loin que janvier 2004, avant que la situation de la sécurité paralyse presque complètement la plupart des projets de reconstruction actuels, et neuf mois après la fin officielle de la guerre en Irak, la situation frisait déjà la catastrophe. Par exemple, la pénurie d’eau potable était devenue normale dans la quasi totalité de l’Irak du centre et du Sud.

A l’époque, je travaillais sur un rapport qui essayait de montrer exactement ce qui avait été reconstruit dans le secteur de l’eau – un secteur dont Bechtel était en grande partie responsable. Cette société géante s’était vu accorder un contrat hors offre, en coulisse, de 680 millions de dollars le 17 avril 2003, montant qui, en septembre, fut porté à 1,03 milliard de dollars. Ensuite, Bechtel décrocha un contrat supplémentaire de 1,8 milliard de dollars pour étendre son programme jusque décembre 2005.

A l’époque, lorsqu’il était beaucoup plus facile de voyager pour les journalistes occidentaux, je m’arrêtai en cours de route dans plusieurs villages au sud de Bagdad, dans ce que les Américains appellent aujourd’hui " le triangle de la mort ", dans la direction de Hilla, Najaf et Diwaniyah, histoire de vérifier la situation de l’eau potable de ces gens. A proximité de Hilla, un vieillard aux traits burinés me montra sa pompe à eau à l’arrêt, flanquée d’un réservoir vide : il n’y avait pas d’électricité. L’eau dont disposait son village était chargée de sel se déversant dans la conduite d’eau parce que Bechtel n’avait pas honoré ses obligations contractuelles consistant à remettre en état un centre de traitement de l’eau tout proche. Un autre village du coin n’avait pas ce problème de sel, mais les cas de nausée, de diarrhée, de pierres au reins, de crampes et même des cas de choléra étaient de plus en plus fréquents. Ceci allait être une tendance constante dans les villages que je visitai.

Le reste de ce périple entraîna une tournée frénétique des villages. Aucun n’avait d’eau potable, à proximité ou dans les limites urbaines de Hilla, Najaf et Diwaniya. Hilla, proche de l’ancienne Babylone, dispose d’un nouveau site de traitement de l’eau et un centre de distribution dirigé par l’ingénieur en chef Salmam Hassan Kadel. M. Kadel me déclara que la plupart des villages sous sa compétence n’avaient pas d’eau potable et qu’il ne disposait pas de la tuyauterie nécessaire pour réparer leurs systèmes à eau complètement détruits, pas plus qu’il n’avait de contacts avec Bechtel ou ses sous-traitants.

Il me parla des nombres importants de personnes s’amenant avec la liste habituelle des maladies. " Bechtel ", me dit-il, " dépense tout son argent sans faire la moindre étude. Bechtel repeint des bâtiments mais n’apporte pas d’eau potable aux gens qui sont morts d’avoir bu de l’eau contaminée. Au lieu de repeindre des bâtiments, nous leur demandons de nous donner une seule pompe à eau et nous l’utiliserons pour apporter l’eau à plus de monde. Plus rien n’a changé depuis que les Américains sont ici. Nous savons que Bechtel gaspille de l’argent, mais nous ne pouvons pas le prouver. "

Dans un autre petit village entre Hilla et Najaf, 1500 personnes buvaient l’eau d’un ruisseau sale coulant lentement à proximité de leurs foyers. Toute le monde souffrait de dysenterie, beaucoup avaient des pierres aux reins et un nombre étonnant souffrait du choléra. Un villageois, me montrant un enfant malade, me dit : " C’était beaucoup mieux avant l’invasion. Nous avions vingt-quatre heures d’eau courante, à l’époque. Maintenant, nous buvons cette saleté, parce que c’est tout ce que nous avons. "

Le matin suivant me trouva dans un village dans les faubourgs de Najaf et qui était sous la responsabilité du centre des eaux de cette même ville. Une large fosse avait été creusée dans le sol où les villageois siphonnaient de l’eau dans des conduites déjà existantes. Le trou sale se remplit durant la nuit, quand on eut fini de collecter de l’eau. Ce matin, des enfants désœuvrés entouraient le trou tandis que les femmes vidaient les restes d’eau sale qui se trouvaient au fond. Tout le monde, semblait-il souffrait de quelque maladie provoquée par l’eau et plusieurs enfants, me dirent les villageois, avaient été tués en tentant de traverser une grand-route fort fréquentée menant à une usine où, en fait, on pouvait trouver de l’eau potable.

En juin, six mois plus tard, je visitais l’hôpital Chuwader qui, à l’époque, traitait 3.000 patients par jour à Sadr City, le gigantesque quartier pauvre de Bagdad. Le Dr Qasim al-Nuwesri, directeur principal de l’endroit, se mit bien vite à décrire les combats menés par son hôpital sous l’occupation. " Nous manquons de chaque médicament ", dit-il, en faisant remarquer que la chose avait été très rare avant l’invasion. " C’est interdit, mais parfois, il nous faut réutiliser les intraveineuses, même les aiguilles. Nous n’avons pas le choix. "

Et puis, naturellement, à l’instar des autres médecins à qui j’ai parlé, il a amené sur le tapis leur cruel problème de l’eau, l’indisponibilité d’eau non polluée partout dans la région. " Bien sûr, nous avons la typhoïde, le choléra, les calculs rénaux ", dit-il prosaïquement, mais nous avons même désormais la très rare hépatite de type E (…) qui est même devenue commune dans notre secteur. "

En quittant les rues remplies d’eaux usées et parsemées d’immondices de Sadr City, nous franchîmes un mur sur lequel on avait peint à la bombe " Vietnam Street ". Juste en dessous, il y avait la phrase suivante, destinée sans aucun doute aux libérateurs américains, " Nous creuserons vos tombes en cet endroit. "

Aujourd’hui, en termes d’effondrement des infrastructures, d’autres zones de Bagdad commencent à souffrir de la même façon que Sadr City a souffert à l’époque (et souffre toujours aujourd’hui). Alors que les projets de reconstruction prévus pour Sadr City se sont vu allouer davantage de fonds, la plupart du temps, il n’y a guère de signe montrant que l’on travaille et c’est le cas de la majeure partie de Bagdad.

Alors qu’avec le prolongement de la crise du carburant, on trouve des gens qui attendent deux jours durant pour remplir leur réservoir aux pompes à essence, l’ensemble de la ville fonctionne la plupart du temps sur des générateurs et maintes zones moins favorisées, comme Sadr City, par exemple, ne disposent que de quatre heures de courant par jour.

Des villes anéanties

La tactique aux mains lourdes des forces d’occupation est devenue un fait habituel, dans la vie en Irak. J’ai interviewé des personnes qui dorment régulièrement tout habillées du fait que les raids aériens sont désormais la norme. Très souvent, quand des patrouilles militaires sont attaquées par les combattants de la résistance dans les villes de l’Irak, les soldats ouvrent simplement le feu en tous sens et sur tout ce qui bouge. Plus communément, les lourdes de pertes civiles sont imputables aux raids aériens des forces d’occupation. Ces circonstances horribles ont provoqué plus de 100.000 pertes en vies humaines civiles chez les Irakiens en moins de deux années d’occupation.

Puis il y a Fallujah, une ville dont les trois quarts aujourd’hui ont subi des bombardements ou sont réduits en ruines, une ville dont les ruines sont toujours le cadre de combats même si la plupart des résidents attendent encore l’autorisation de rentrer chez eux (dont un grand nombre n’existent plus). Les atrocités commises en cette ville, ces derniers temps, sont pour une bonne part similaires à celles observées durant le siège avorté de la ville par les marines américains, en avril dernier, quoique sur une plus grande échelle. En outre, cette fois, des rapports des familles de l’intérieur de la ville, de même que des preuves photographiques, semblent prouver que l’armée américaine s’est servie d’armes chimiques et au phosphore, ainsi que de bombes à fragmentation. Les quelques résidents qui ont été autorisés à rentrer chez eux au cours de la dernière semaine de 2004 se sont vu refiler des prospectus produits par l’armée leur enjoignant de ne consommer aucune nourriture provenant de la ville ni d’en boire la moindre eau.

En mai dernier, à l’hôpital général de Fallujah, des médecins m’ont parlé du genre d’atrocités qui se sont produites durant le premier siège d’un mois de la ville. Le Dr Abdul Jabbar, un chirurgien orthopédiste, m’a déclaré qu’il était malaisé de garder des traces du nombre de personnes qu’ils avaient traités, de même que du nombre de morts, vu l’absence de documentation à ce propos. Tout cela a été causé en premier lieu par le fait que le principal hôpital, situé sur la rive opposée de l’Euphrate, a été isolé par les marines durant la plus grande partie du mois d’avril, comme il allait d’ailleurs encore l’être en novembre 2004.

Il estimait qu’au moins 700 personnes avaient été tuées à Fallujah au cours de ce mois d’avril. " J’ai travaillé dans cinq des centres [cliniques communautaires de santé] moi-même, et si nous rassemblons les chiffres de ces différents endroits, ça vous fait ce nombre ", dit-il. " Et tenez également compte du fait que de nombreuses personnes ont été enterrées avant que les autres n’arrivent à nos centres. "

Quand le vent s’est mis à souffler depuis le quartier tout proche de Julan, l’odeur putride des corps en décomposition (une puanteur évidemment typique de la ville, une fois de plus) ne fit que confirmer cette déclaration. Même à ce moment, le Dr Jabbar insistait sur le fait que les avions américains avaient largué des bombes à fragmentation sur la ville. " Des tas de gens ont été blessés ou tués par ces bombes à fragmentation. Mais c’est bien sûr, qu’ils ont utilisé des bombes à fragmentation. Nous les avons entendues aussi bien que les personnes que nous avons traités et qui avaient été touchées par elles ! "

Le Dr Rashid, un autre chirurgien orthopédiste, déclara : " Pas moins de soixante pour-cent des morts étaient des femmes et des enfants. Vous pouvez aller voir les tombes vous-même. " J’avais déjà visité le cimetière des Martyrs et j’avais en effet observé les nombreuses tombes minuscules qui, manifestement, avaient été creusées pour des enfants. Il était d’accord avec le Dr Jabbar à propos de l’emploi des bombes à fragmentation et il ajouta : " J’ai vu ces bombes à fragmentation de mes propres yeux. Nous n’avons aucunement besoin de preuves. La plupart de ces bombes sont tombées sur les personnes que nous avons traitées à ce moment-là. "

Evoquant la crise médicale que son hôpital avait dû affronter, il fit remarquer que durant les dix premiers jours des combats, les militaires américains ne permirent absolument aucune évacuation de Fallujah vers Bagdad. Il ajouta : " Même transférer des patients dans la ville était impossible. Vous pouvez voir nos ambulances dehors. Leurs tireurs embusqués ont également tiré dans les portes principales d’un de nos centres. " Et, en effet, plusieurs ambulances étaient dans le parking de l’hôpital, et deux d’entre elles avaient des impacts de balles dans le pare-brise.

Les deux docteurs déclarèrent qu’ils n’avaient pas été contactés par les militaires américains et que l’armée ne leur avait pas fourni la moindre aide. Le Dr Rashid résuma la situation de la façon suivante : " Ils n’envoient que des bombes, mais pas de médicaments. "

Comme je me rendais à notre voiture, à un endroit de ce qui était déjà la désolation de Fallujah, un homme me heurta le bras et me cria : " Les Américains sont des cow-boys ! ceci est leur histoire ! Voyez ce qu’ils ont fait aux Indiens ! Le Vietnam ! L’Afghanistan ! Et maintenant, l’Irak ! Cela ne nous surprend pas ! "

Et cela, naturellement, se passait bien avant que ne débute le siège total de la ville, en novembre 2004. La campagne d’avril à Fallujah, qui résultat en une intensification de la résistance, s’est avérée – l’instar de beaucoup de choses qui se sont passées au cours des premiers mois de 2004 – n’être qu’un échantillon des faits qui allaient se produire à une bien plus grande échelle. Alors que le but du dernier siège avait été de faire patauger la résistance et d’offrir une plus grande sécurité aux élections prévues pour le 30 janvier, le résultat, comme en avril, avait été n’importe quoi, sauf un accroissement de la sécurité.

Dans le sillage de la destruction de Fallujah, les combats se sont tout simplement étendus et intensifiés partout. Des familles fuient aujourd’hui Mossoul, la troisième plus grande ville de l’Irak, en raison de la mise en garde contre une prochaine campagne aérienne lancée contre les combattants de la résistance. Une voiture piégée au moins par jour, telle est la norme dans la capitale. Des explosions se font entendre avec une régularité mortelle partout dans Bagdad de même que dans les villes comme Ramadi, Samarra, Baquba et Balad.

L’intensification se rencontre dans les deux camps. Avec chaque surenchère de la violence, la tactiques des militaires américains ne fait que se durcir et, quand ils le font, la résistance irakienne, de son côté, s’accroît tout simplement en ampleur et en efficacité. Toute forme de " siège " contre Mossoul ne fera qu’intensifier cette dynamique.

Malgré un black-out des médias dans le sillage du récent assaut contre Fallujah, des histoires de chiens dévorant des cadavres dans les rues de la ville et de mosquées détruites se sont répandues à travers l’Irak comme une traînée de poudre et des rapports de ce genre ne font que souligner ce que la plupart des gens en Irak croient aujourd’hui – que les libérateurs sont devenus ni plus ni moins que les brutaux occupants impérialistes de leur pays. Et alors, la résistance ne fait que s’intensifier encore.

Pourtant, parmi les Irakiens, il y a longtemps qu’on avait prédit ce durcissement de la résistance. Un moment révélateur pour moi vint en juin dernier avec les voiture suicides quotidiennes à Bagdad. Alors que les séquences montrant des voitures aux vitres brisées et aux impacts de balles dans leur carrosserie apparaissaient sur les écrans de télévision, mon traducteur Hamid, un homme d’un certain âge qui s’était déjà lassé de toute cette violence, me dit doucement : " Ca a commencé. Ce n’est que le début, et ils ne s’arrêteront pas. Même après le 30 juin. " Le 30 juin, bien sûr, était la date de la passation de " souveraineté ", promise depuis longtemps, à un nouveau gouvernement irakien, après quoi, prédisaient avec ferveur les hauts responsables américains, la violence dans le pays allait commencer à décliner. Le même schéma de prédiction et de réalité contraire peut se voir aujourd’hui en ce qui concerne l’approche des élections.

Il y a trois semaines, un de mes amis, un cheikh de Baquba m’a rendu visite à Bagdad et nous avons pris le lunch avec Abdullah, un professeur âgé qui est l’un de ses amis. Comme nous mangions, Abdullah exprima un sentiment qu’on entend très souvent, aujourd’hui : " Les moudjahidin ", dit-il, " combattent pour leur pays contre les Américains. Cette résistance est acceptable, à nos yeux. "

Récemment, l’administration a accru ses effectifs en Irak, les portant de 138.000 hommes à 150.000 – afin, disent les fonctionnaires, d’assurer une plus grande sécurité lors des élections prochaines. De telles augmentations d’effectifs ont également eu lieu au Vietnam. A l’époque, on appelait ça de l’escalade.

Ce que je me demande, c’est si j’écrirai un article en janvier prochain, intitulé " Irak : la dévastation ", dans lequel ces terribles derniers mois de 2004 (et dont le premier semestre de l’année n’était qu’un pâle avant-goût) ne s’avéreront à leur tour qu’être une prévision de nouvelles horreurs à venir ? Et que se passera-t-il alors en 2006 et 2007 ?

* Dahr Jamail est un journaliste indépendant d’Anchorage, en Alaska. Il a passé sept des douze derniers mois à faire des reportages à partir de l’Irak occupé. Ses articles ont été publiés dans The Sunday Herald, Inter Press Service, sur le website de Nation Magazine, et sur le site d’infos internet de New Standardpour le compte duquel il était correspondant en Irak. Il est également le correspondant spécial en Irak de la radio Flashpoints et on l’a également vu à la BBC dans Democracy Now!, Free Speech Radio News et Radio South Africa.


Copyright 2004 Dahr Jamail, Traduit de l' anglais par   Jean-Marie Flemal

06.10.2003 - Buts de guerre et bilan stratégique de l'attaque en Irak par Thierry Meyssan, Président du réseau Voltaire

Alors que Washington tentait de maintenir le prétexte des armes de destruction massive pour justifier son attaque, les véritables mobiles de l'invasion de l'Irak sont apparus progressivement. Démonstration de puissance militaire, contrôle tactique des ressources pétrolières, reformatage politique et économique du Proche-Orient, tels étaient les objectifs inavoués de l'administration Bush. Six mois après la prise de Bagdad par les États-Unis, quel est bilan stratégique de la campagne d'Irak ?

En plein scandale sur l'inexistence des armes de destruction massive, la question se pose de savoir pourquoi les États-Unis, la Grande-Bretagne et quelques autres ont attaqué l'Irak, un pays revenu au sous-développement à la suite de la longue guerre contre l'Iran, de la Guerre du Golfe, et de dix ans d'embargo.

Comme toujours pour ce type de décision, il n'y a pas un, mais plusieurs mobiles à l'invasion de l'Irak, qui correspondent à des intérêts particuliers différents. En voici les trois principaux :

1- L'économie états-unienne est exangue. Le pays produit de moins en moins et achète de plus en plus. Il paie ses importations avec de la monnaie de singe : des dollars qu'il imprime par milliards chaque jour (voir à ce sujet « Le talon d'Achille des USA »). Cette monnaie devrait s'être effondrée depuis longtemps, mais les banques centrales des autres pays continuent à l'utiliser uniquement parce que personne n'ose rien refuser à la première puissance militaire du monde. Les États-Unis sont ainsi condamnés à une fuite en avant : ils doivent continuer à faire peur au monde s'ils ne veulent pas être subitement ruinés. Ils se sont donc lancés dans une guerre perpétuelle qu'il baladent d'Afghanistan en Irak, bientôt peut-être en Syrie.

2- Le contrôle et l'approvisionnement en énergie et en matières premières est nécessaire aux États-Unis pour maintenir leur pression sur les autres pays développés. Cette stratégie a été théorisée, il y a déjà vingt ans, par le docteur Henry Kissinger. En attaquant l'Irak, Washington espérait reprendre le contrôle du marché mondial du pétrole.

Cependant, cette pression économique et militaire, si elle intimide des pays isolés, se heurte à des unions de pays qui, elles, peuvent être en situation de garantir leur approvisionnement en énergie et en matières premières. De ce point de vue, Washington doit empêcher les tentatives franco-allemandes de créer une Europe politique capable de rivaliser avec les États-Unis. Ce risque est d'autant plus important que la France, l'Allemagne et plusieurs autres États européens ont adopté une monnaie unique rivalisant avec le dollar. C'est pourquoi, dès 1992, dans un célèbre rapport, Paul Wolfowitz, l'actuel n°2 du département de la Défense, écrivait qu'il fallait saboter l'Europe politique et détruire de petits pays pour montrer la puissance de l'Amérique et dissuader les Français et les Allemands de jouer à la grande puissance (lire à ce sujet « L'éclatement du continent européen au service des États-Unis »).

3- Enfin, attaquer l'Irak devait permettre de « remodeler le Proche-Orient » selon l'expression du conseiller du Pentagone, Richard Perle. « Remodeler le Proche-Orient » cela veut dire « le faire entrer dans la démocratie de marché ». En d'autres termes, il s'agit d'installer des régimes politiques qui renoncent à défendre leurs intérêts nationaux de sorte que les multinationales états-uniennes puissent faire main-basse sur toutes les richesses de la région. Et, au cours de ce processus de formatage économique et politique, il est possible d'envisager de régler définitivement le problème israélo-palestinien en créant un État palestinien dans une zone aride d'Irak et en y transférant les misérables qui s'acharnent à vivre à Gaza et en Cisjordanie. Ce projet de déportation a été énoncé, en 1942, par le congrès sioniste réuni à New York à l'hôtel Biltmore. Il a été remis à l'ordre du jour, en 1996, quant Richard Perle était le conseiller de Benjamin Netanyahu. Perle est aujourd'hui le conseiller de Donald Rumsfeld.

Six mois après la chute de Bagdad, où en est-on dans la réalisation de ces objectifs ?

1- À force de déclarer que les GI's seraient acclamés en libérateurs par la population irakienne, le Pentagone avait fini par croire à sa propre propagande. Il est aujourd'hui dépassé par la situation de chaos qu'il a provoqué. On ignore l'étendue des dégâts causés par les bombardements. On ne sait s'ils doivent être chiffrés en dizaines ou en centaines de milliards de dollars. On ne sait pas non plus le nombre des victimes des bombardements. Le Central Command assure contre toute évidence qu'elles sont peu nombreuses. Il va de soi que chaque missile est tiré pour tuer et blesser. Et la Coalition a tiré plusieurs milliers de missiles sur les villes irakiennes. Et il est probable que la plupart des blessés sont morts, car les hôpitaux, privés de médicaments, n'avaient aucun moyen de les soigner. Il n'existe pas à ce jour de bilan officiel de cette guerre et l'envoyé spécial de l'ONU qui devait l'établir, Sergio Viera de Mello, a été assassiné.

La population irakienne est lentement sortie de son hébétude, après des semaines de bombardements intensifs. Elle s'est alors préoccupée de sa survie, dans un pays désormais largement privé d'eau et d'électricité. Petit à petit une résistance à l'envahisseur s'organise. Les experts étrangers estiment que plus de 6000 GI's ont été blessés au cours des affrontements de l'après-guerre, dont 1500 gravement. Mais ces chiffres sont censurés aux États-Unis où le Pentagone ne comptabilise que les soldats morts, bientôt deux cents.

Les États-Unis conduisent maintenant deux politiques simultanées pour se retirer de ce bourbier. D'une part, ils cherchent à se défausser sur l'ONU pour assurer l'ordre public dans ce pays qu'ils ont dévasté. D'autre part, ils réorganisent les forces de répression de Saddam Hussein, parce qu'il n'y a personne d'autre pour faire la police. L'ancien chef de la police de New York est venu former 40 000 policiers irakiens. Ces hommes, qui servirent la dictature de Saddam Hussein avec la brutalité que l'on sait, ont suivi un stage de trois semaine au cours duquel ils sont censés avoir appris le respect de la loi et des droits de l'homme. Et l'on s'apprête, sur le même modèle, à former maintenant les agents de renseignement. En somme, les États-Unis reconstituent la dictature de Saddam Hussein, sans Saddam Hussein. Or, les Irakiens se souviennent que Saddam Hussein fut longtemps le protégé des États-Unis et que des instructeurs états-uniens encadrèrent jadis ses forces de répression. Aussi résument-ils, désabusés, cette situation en citant ce vieil adage : « Le disciple s'en va, le maître arrive ».

La guerre ambulante est donc provisoirement domiciliée en Irak. La tournée des GI's au Proche-Orient ne pourra se poursuivre en Syrie qu'une fois l'ordre revenu là-bas.

2- Question contrôle du pétrole et privatisation de l'économie, les objectifs sont largement tenus. Une autorité indépendante a été constituée pour gérer le pétrole « dans l'intérêt des Irakiens ». Elle échappe au Conseil de gouvernement transitoire et est contrôlée directement par la Coalition. Les fonctions importantes sont assumées par des cadres des grandes compagnies pétrolières états-unienne et hollandaise.

La reconstruction des infrastructures détruites par les bombardements a été confiée à des entreprises états-uniennes liées au clan Bush (voir « Irak : à qui profite la reconstruction ? »). Le groupe de travaux public Bechtel s'est taillé la part du lion. Il est administré par l'ancien secrétaire d'État George Schultz, et ex-associé de Donald Rumsfeld. L'autre grand bénéficiaire des contrats de reconstruction, n'est autre qu'Halliburton, la compagnie dont Dick Cheney était le patron avant de devenir vice-président des États-Unis.

Mais le pire reste à venir. Lors du sommet du FMI à Dubaï, il y a deux semaines, le ministre irakien de l'économie a annoncé la privatisation à 100 % des entreprises publiques et l'abrogation de la loi interdisant la détention d'entreprises nationales par des étrangers. C'est ce que l'on appelle la désocialisation du pays. Les investisseurs états-uniens et israéliens se sont jetés sur l'aubaine. Pour éviter d'effrayer la population irakienne et pour traiter avec elle, ces investisseurs font souvent appel à des hommes d'affaires jordaniens qui jouent les hommes de paille.

Le gouverneur Paul L. Bremer s'est adjoint le conseil de spécialistes pour organiser ce pillage. Depuis quelques jours, il est notamment assisté de l'ancien président bulgare Peter Stoyanov, qui a déjà ruiné son pays au profit des multinationales US. Et surtout Yegor Gaïdar, l'ancien vice-premier ministre russe de Boris Eltsine, qui divisa le pays en une dizaine de parts et les offrit à des amis, les oligarques, qui constituèrent de gigantesques organisations criminelles.

Concernant l'intimidation de l'Union européenne, la guerre en Irak n'a porté qu'à moitié ses fruits. Certes l'Union est désormais paralysée. L'élargissement de 15 à 25 États membres rend impossible la définition d'une politique commune, d'autant plus que les nouveaux entrants sont majoritairement atlantistes. Mais la paralysie de l'Union a encouragé l'Allemagne, la Belgique et la France à envisager un rapprochement accéléré qui pourrait déboucher bientôt sur la création d'une citoyenneté commune, d'un passeport unique, et d'une politique étrangère commune.

3- Enfin, concernant le projet Perle de création d'un État palestinien en Irak et la déportation des populations de Gaza et de Cisjordanie, les choses sont au point mort et la communauté internationale est mobilisée pour s'y opposer. Le gouvernement Sharon lui-même est divisé sur l'opportunité de réaliser ce plan. Cependant le général Ariel Sharon a compris que les États-Unis sont provisoirement en position de faiblesse puisque l'enlisement en Irak les empêche de promener leur guerre ambulante. Il a proposé les services de son armée de l'air pour sous-traiter le bombardement de la principale centrale nucléaire civile iranienne, comme le fit Israël en 1981 en bombardant Osirak, la centrale nucléaire irakienne. Ne disposant pas des bombardiers ayant un rayon d'action suffisant, ni des satellites d'observation nécessaires pour opérer ce raid, le général Sharon est allé négocier l'appui logistique de l'Inde. Il a alors commencé à faire chanter l'administration Bush : laisser-nous éliminer Arafat si vous voulez que nous détruisions pour vous la centrale iranienne.

Six mois après la chute de Bagdad, les véritables objectifs de guerre états-uniens sont en passe d'être atteints. Mais paradoxalement, ils pourraient ne jamais l'être totalement car Washington ne contrôle plus le processus qu'il a enclenché. L'administration Bush avait en effet oublié un paramètre : les peuples n'acceptent pas toujours de se faire manipuler.

Thierry Meyssan , Journaliste et écrivain, président du Réseau Voltaire

 

07.04.2003 - Le retour du colonialisme par Thierry Meyssan, Président du réseau VoltaireLes masques tombent : oubliés les prétextes du désarmement et de la démocratie, voici venue l'heure de l'occupation militaire et du contrôle du pétrole. La chute de Bagdad marquera la défaite du droit international et le retour du colonialisme. Un nouvel Empire naît sous le coup des armées états-unienne, britannique et israélienne.

Il arrive que les paroles soient démenties par les actes. Ainsi, non seulement les intentions affichées de la Coalition, mais les arguments qui les justifient, ont été démentis par les choix stratégiques de l'état-major états-unien.

La stratégie militaire du Pentagone démontre que les États-Unis n'ont jamais cru aux accusations qu'ils ont portées contre l'Irak. Officiellement Washington est parti en guerre pour désarmer l'Irak qui cachait des armes de destruction massive et s'apprêtait à attaquer les États-Unis et leurs alliés. En pratique, le Pentagone n'a jamais cru que l'Irak détienne de telles armes. C'est ce que prouve le fait qu'il ait massé les troupes de la Coalition dans le désert, les exposant à une mort certaine si l'Irak avait été en mesure d'employer un tel arsenal. L'état-major a d'ailleurs ordonné d'abandonner les tenues NBC dès que les combats urbains ont commencé.
Il s'ensuit que, contrairement à ce que croit le Parti démocrate, le régime de George W. Bush n'a pas commis d'erreur d'appréciation sur la menace irakienne. Il l'a simplement inventée pour justifier sa campagne militaire. Washington n'a pas non plus forcé le destin en présentant des preuves trafiquées pour faire partager ses convictions par tous les moyens. Il a délibérément fabriqué des faux pour tromper.
Ce faisant, le comportement de l'administration Bush se situe dans la continuité de nombre de ses prédécesseurs : affirmer que les États-Unis sont un pays pacifique qui n'entre en guerre qu'en légitime défense et mettre en scène autant que de besoin des attaques ou des menaces ennemies. Il en fut ainsi, au besoin en sacrifiant ses propres soldats, du déclenchement de la guerre contre l'Espagne à celle du Vietnam (cf. The Pentagon Papers).
En l'occurrence, pour mettre en scène la pseudo-menace irakienne, Washington n'a pas hésité à présenter des accusations mensongères au Conseil de sécurité et à fournir de faux documents officiels de pays tiers aux inspecteurs de l'ONU. Et, lorsque ces derniers, vérifications à l'appui, réfutèrent ces accusations et ces documents, Washington mit en cause leur probité et leur compétence, organisant une campagne internationale de diffamation contre eux, et allant même jusqu'à étaler leur vie sexuelle sur la place publique.

La propagande de la « libération » de l'Irak s'effondre : la guerre est conduite contre la population irakienne. Officiellement, les forces de la coalition interviennent pour libérer le peuple irakien du joug du « plus cruel tyran du monde ». Dans la pratique, dès le troisième jour, l'état-major a interdit les contacts entre les troupes de la Coalition et le peuple irakien et, à l'issue de la première semaine de combats, il a décidé de requérir 120 000 hommes supplémentaires pour assiéger les villes, c'est-à-dire pour combattre la population.
Depuis plusieurs années, le clan Bush sponsorise des rapports d'organisations humanitaires et organise des auditions au Congrès pour noircir l'image de Saddam Hussein. D'un despote oriental, qui assassine systématiquement ses rivaux et réprime dans le sang toute opposition, il a fait un criminel contre l'humanité qui gaze ses minorités ethniques. Une fois de plus cette hyperbole a convaincu la presse, qui avait déjà avalé, dix ans plus tôt, que l'Irak sous-développée disposait de la « quatrième armée du monde ».

L'alibi démocratique tombe : le débat porte sur la forme que prendra le gouvernement colonial. Officiellement, la Coalition se propose d'installer la démocratie en Irak et espère qu'elle fera tache d'huile dans tout le Proche-Orient. Dans la pratique, la classe dirigeante washingtonienne s'est déchirée en public pour déterminer si elle installerait un protectorat militaire ou un gouvernement irakien fantoche. En tous cas, elle a clamé qu'il n'est pas question d'organiser des élections libre, ni à court, ni à moyen terme, car elles pourraient porter au pouvoir des anti-Américains, voire des pro-Iraniens.

L'opposition intérieure ne critique que des détails « techniques » de la politique du régime Bush. Les difficultés de l'armada de la Coalition ont ouvert une crise de confiance aux États-Unis. De manière très décevante, l'opposition démocrate ne remet en cause ni les buts de guerre, ni les concepts stratégiques, ni le bien-fondé de l'intervention. Elle se contente de dénoncer l'inadéquation au terrain de la préparation militaire et suspecte le clan Bush d'avoir commis des erreurs pour satisfaire ses intérêts privés.
Ainsi, l'échec militaire ne serait pas la conséquence d'une erreur d'appréciation de la situation en Irak, mais de conflits budgétaires. Les généraux, appliquant la doctrine élaborée par Colin Powell lorsqu'il dirigeait l'état-major interarmes, avaient demandé le plus de moyens possibles. Ils entendaient faire usage de la supériorité militaire la plus importante pour écraser l'ennemi le plus vite possible. Au contraire, Donald Rumsfeld avait décidé de limiter les moyens au strict nécessaire pour épargner une partie du budget et développer parallèlement ses projets d'armes hi-tech. Il avait exigé de ses généraux qu'ils utilisent de nouvelles armes, pour la première fois sur le champ de bataille, de sorte qu'à la fois ils compensent l'absence de certains moyens humains et ils fassent la démonstration d'une nouvelle forme de puissance. On ignore pour le moment quels gadgets n'ont pas fonctionné, mais on sait déjà que ces plans ont échoué. Quoi qu'il en soit, chacun se menace d'auditions devant le Sénat, voire de commissions d'enquête parlementaires, pour établir les responsabilités.
L'opinion publique intérieure attribue les problèmes militaires à de sombres intérêts financiers. Elle a été choquée par l'annonce prématurée de la signature de contrats de reconstruction et par l'évocation du partage des ressources pétrolières irakiennes. Déjà échaudée par l'affaire Enron, elle interprète ces déboires comme des conséquences d'une mauvaise gestion imputable à des dirigeants politiques exclusivement préoccupés par leurs intérêts financiers personnels.

La chute de Bagdad marquera la première conquête coloniale d'envergure depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quoi qu'il en soit, la chute de Bagdad est inévitable. Elle marquera une rupture dans les relations internationales : il s'agira de la première conquête coloniale d'envergure depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle remet en cause le processus amorcé depuis la création de la Société des Nations (SDN) et poursuivi par l'Organisation des Nations Unies (ONU) : un siècle de renoncement progressif de l'Occident à la colonisation, un siècle de construction patiente d'un système de règlement pacifique des différends internationaux.

Les États-Unis ont essayé de créer eux-même leur ennemi en imposant la logique du « clash des civilisations », mais la fracture prend une autre forme. En choisissant comme cible le fleuron des Abbassides, la capitale mythique du monde arabo-musulman, et en évoquant la croisade, la Coalition a voulu provoquer le « clash des civilisations » qui doit lui permettre de diviser le monde pour le dominer. Mais rien ne prouve que la fracture ainsi créée opposera la civilisation arabo-musulmane à la civilisation judéo-chrétienne. D'abord parce que la résistance du peuple laïc d'Irak n'a pas enflammé l'Islam, mais a réveillé le nationalisme arabe. Ensuite parce que Bush et Blair ne représentent pas plus les chrétiens que Sharon ne représente les juifs. Enfin parce que les principaux leaders religieux chrétiens et certains leaders juifs ont désavoué cette opération coloniale.

Le cauchemar du « transfert » des Palestiniens en Irak revient et donne un nouvel aspect au projet impérial. Avant même que Bagdad ne tombe, le président George W. Bush a nommé le général Jay Garner gouverneur militaire de l'Irak. Dimanche, les premiers hauts fonctionnaires du gouvernement colonial sont arrivés au Koweït pour rejoindre les forces d'occupation anglo-états-uniennes et leurs conseillers israéliens. S'il s'agit pour l'essentiel de diplomates et s'ils ont un profil bi-partisan (c'est-à-dire respectant un équilibre entre démocrates et républicains), ils ont en commun de militer pour l'annexion de Gaza et de la Cisjordanie par Israël. Loin d'être écarté, le spectre du plan Perle ressurgit : l'éventuel « transfert » des Palestiniens en Irak.
D'où cette question inattendue : le projet impérial qui prend forme sous nos yeux est-il celui d'un Empire états-unien, ou d'une Coalition coloniale, d'un triumvirat dans lequel les États-Unis seront secondés par le Royaume-Uni et Israël ?

Thierry Meyssan , Journaliste et écrivain, président du Réseau Voltaire.

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