Les commentateurs politiques états-uniens évoquent de plus en plus
fréquemment une « guerre civile » au sein de l'administration Bush, opposant
le département de la Défense d'un côté au département d'État et à la CIA de
l'autre. Face à ce conflit, la Maison-Blanche donne l'impression de refuser de le
trancher sans pour autant parvenir à le maîtriser. Il s'ensuit une série de décisions
qui se contredisent sans s'annuler et plongent l'administration dans la confusion. Ainsi,
pour reconstruire l'Irak, Washington avait d'abord nommé un vieux complice de Rumsfeld,
le général Jay Garner. Celui-ci ayant rapidement manifesté son incurie, on ne le
désavoua pas, mais on lui dépêcha sur place un supérieur en la personne d'un
ex-associé de Kissinger, Paul L. Bremer. Celui-là ayant avancé le pillage économique,
mais n'étant pas parvenu à restaurer l'ordre, vient d'être placé sous l'autorité d'un
Groupe de stabilisation de l'Irak, supervisant les opération s depuis la Maison-Blanche
et présidé par Condoleezza Rice, la « sur adoptive » de Madeleine
Albright. Cette dernière valse des organigrammes a été généralement interprétée
comme un échec personnel pour Donald Rumsfeld. Dans le Washington Times,
un faucon, Clifford D. May, assure que c'est faux. Selon lui, c'est Colin Powell qui a
été désavoué par cette nomination, car c'est au département d'État, et non à celui
de la Défense, qu'incombe la stabilisation de l'Irak.
L'avenir de l'Irak paraît d'autant plus sombre que l'exemple afghan n'incite pas à
l'optimisme. À ce propos, le Guardian reproduit un dialogue entre
l'essayiste Tariq Ali et le secrétaire d'État travailliste au Commerce, Mike O'Brien. Le
premier relève que la situation des populations ne s'est pas améliorée depuis le
renversement des Talibans, tandis que le second souligne qu'on ne peut construire la
démocratie en un jour. Tariq Ali stigmatise la vanité des occidentaux de croire qu'ils
pourront à moindres frais réussir à démocratiser l'Afghanistan par la force, alors que
les Soviétiques ont échoué à réaliser le même projet bien qu'avec des moyens
beaucoup plus importants. Mike O'Brien, quant à lui, regrette que cette critique ne
débouche sur aucune proposition alternative. À les lire, on constate que les
Britanniques regrettent aujourd'hui de s'être placé dans cette situation.
Pour mieux comprendre les options qui s'offrent désormais à la Coalition, le Washington Post a organisé un vaste débat entre militaires sur la
stabilisation de l'Irak. Le général Joseph Hoar et le colonel Richard Klass (Ancien
général des Marines, Joseph Hoar est ancien commandant en chef de l'U.S. Central
Command. Richard Klass est ancien colonel de l'US Air Force. Ils sont tous les deux
consultants indépendants sur les questions de sécurité nationale) dressent un bilan
négatif de la situation. Selon eux, la démocratisation forcée de l'Irak est une
chimère et, loin d'avoir garanti la sécurité des États-Unis, cette
guerre a augmenté les dangers auxquels l'Amérique doit faire face.
" George W. Bush
a repris devant l'ONU les deux arguments en faveur de la guerre de son
administration : les Irakiens sont mieux depuis que nous avons renversé Saddam
Hussein ; le monde et les États-Unis sont plus sûrs. On pourra juger de
l'amélioration de la qualité de vie des Irakiens seulement après que nous aurons
quitté le pays, mais il n'est de toute façon pas de la responsabilité de George W. Bush
d'assurer une amélioration de leur vie. En revanche, il est de son devoir de protéger
les États-Unis et nous ne sommes pas sûrs que la
sécurité du pays se soit améliorée depuis notre victoire.
L'affirmation de Washington concernant l'amélioration de la sécurité du pays repose sur
le fait que Saddam Hussein était une menace, ce que nous ne croyons pas, et que la guerre
n'a pas fait naître de nouveaux risques. Or, nous pensons que notre
pays est moins en sécurité qu'avant pour six raisons : a) Les
militaires états-uniens sont désormais trop dispersés et nous ne pouvons donc pas
répondre à une crise en Corée ou ailleurs, et ce pour plusieurs années. b) L'Irak
nous a détourné de la guerre au terrorisme. c) Les fonds dépensés en Irak auraient pu
l'être pour accroître la sécurité de la patrie. d) Si Saddam Hussein avait des armes
de destruction massive, elles sont aujourd 'hui perdues dans une région hostile.
e) L'Irak est aujourd'hui instable et forme un terrain fertile pour Al-Qaïda.
f) Notre unilatéralisme a affaibli l'alliance contre le terrorisme.
C'est pour ces raisons que nous devons obtenir une
résolution de l'ONU et développer l'armée irakienne afin de nous
désengager d'Irak militairement et politiquement. Il faut également recentrer les
efforts sur la guerre au terrorisme. "
" Quoi qu'il en soit -affirme le colonel John Warden III ( Ancien
colonel de l'US Air Force et vétéran du Vietnam, John Warden a été l'un des
stratèges de la campagne aérienne de l'opération « Tempête du désert » de
1991 et un assistant spécial du vice-président de George Herbert Walker Bush, Dan Quayle. Il est l'auteur d'une
théorie des bombardements modernes en ciblant prioritairement sur les centres de
décision et de transmission. Il préside aujourd'hui Venturist Inc, une entreprise de consulting
économique, et est analyste militaire pour la télévision états-unienne. )- il est trop
tard pour discuter du bien-fondé de cet engagement, nous sommes en Irak et il faut faire
face. Puisqu'on ne peut pas résoudre tous les problèmes à la fois, il faut revoir les
objectifs à la baisse. Il convient notamment d'abandonner
l'idée même d'un gouvernement démocratique autochtone à moyen terme.
"
La stratégie, c'est regarder devant nous, pas derrière.
Aussi, peu importent les raisons qui nous ont amené en Irak,
nous y sommes et notre intérêt ici est clair :
aider l'Irak à devenir un
membre de la communauté mondiale démocratique et libre-échangiste au coût le plus
acceptable. Il faut néanmoins garder deux principes stratégiques en
tête : nous ne voulons pas créer un État parfait, mais « suffisamment
bon » ; plus longtemps nous resterons, plus cela sera coûteux et plus nous
risquerons d'échouer. C'est pour cette raison que, d'ici à la fin 2004... nous devons au
préalable avoir réalisé différents objectifs :
- Permettre les
investissements étrangers. Le conseil de gouvernement irakien a déjà
adopté la législation la plus libérale du monde arabe
dans ce domaine.
- Mettre en place une armée
irakienne d'une taille suffisante pour défendre
l'Irak contre ses ennemis
extérieurs et intérieurs. Les progrès
dans ce domaine sont pour l'instant trop lents.
Il ne faut pas espérer installer rapidement une démocratie à l'américaine en Irak,
mais on peut disposer d'un gouvernement raisonnablement
représentatif respectant la loi et le droit à la propriété. Les
Irakiens évolueront ensuite par eux-mêmes.
Absolument, renchérit le colonel Andrew J. Bacevich (Ancien colonel de
l'US Army, Andrew J.
Bacevich est professeur de relations internationales à l'université de Boston). Il
faut se retirer au plus vite sans se préoccuper du type de régime que l'on laissera
derrière soi.
"Il faut faire vite", ajoute le général Montgomery C. Meigs
(Ancien général de l'US. Army et vétéran du Vietnam, Montgomery C. Meigs est ancien
commandant en chef des blindés durant l'opération « Tempête du Désert » et
ancien commandant de la force de maintien de la paix en Bosnie. Il est professeur à l'université du Texas ) ,"
faute de quoi, l'opinion publique états-unienne se découragera et il ne sera plus
possible de réaliser quelque objectif que ce soit. "
Les guerres sont toujours affaires de force morale. Elles doivent se gagner dans les
esprits avant de pouvoir se gagner sur les champs de bataille.
transmis par Réseau Voltaire |