Dans les années 80, le système d'Apartheid
était menacé en Afrique du Sud. Le régime lança un programme secret de recherche
biologique et chimique nommé Project Coast. Son objectif était la
production de substances mortelles éthniquement sélectives, permettant de réduire la
population noire. On ignore combien de personnes sont mortes dans ces expériences. Le
chiffre de plusieurs milliers est avancé. Le directeur du projet, le docteur Wouter
Basson, a été acquitté le 12 avril 2002 à l'issu d'un procès controversé.
Aujourd'hui, le scandale éclabousse la Suisse qui aurait collaboré aux recherches du « docteur la Mort ». Il semble, en effet, que pour contourner
les traités de non-prolifération d'armes de destruction massive, plusieurs démocraties
aient fait sous-traiter leurs recherches par le régime de l'Apartheid.
Certains le prénomment « docteur la
Mort » et le qualificatif n'est pas trop fort. À 52 ans, ce fils de cantatrice,
brillant chimiste et ardent patriote, est à l'origine d'un des projets
politico-militaires les plus effroyables que l'après-guerre ait connu.
Nous sommes en 1984 et le gouvernement de l'Apartheid, en
guerre larvée avec ses voisins et notamment l'Angola, n'en finit pas de cultiver sa
propagande anti-communiste. Au prétexte d'une crainte d'attaque bio-chimique, les
autorités militaires en place décident de développer une unité spéciale chargée du Chemical and Biological Warfare (CBW). Nom de code : Project
Coast. C'est l'actuel président du Freedom Front, le
général Viljoen, parlementaire proche de Le Pen à qui il a empreinté la flamme
frontiste, qui, aujourd'hui encore se vente d'avoir politiquement entériné le projet
lorsqu'il dirigeait la Défense sud-africaine dans les année 80. C'est lui qui
chargea le docteur Wouter Basson, celui qu'on nommera « docteur la Mort », de
développer le projet.
Les années 80 annoncent l'arrivée de Mandela et de sa
démocratie, les autorités politiques réalisent alors combien la démographie ne leur
est pas favorable et qu'au jeu d'une voix-un vote, la communauté afrikaner n'aurait
bientôt plus de poids politique. Ce constat mènera le docteur Basson à une analyse
simple : moins il y aura de noirs moins il y aura de votes noirs.
Mais l'équation coûte de l'argent. Des dizaines de
millions de francs sont ainsi mis à contribution par le gouvernement de l'apartheid peu
avant les années 90, afin de mettre sur pied un laboratoire militaire technologiquement
suréquipé dans la banlieue proche de Pretoria à Roodeplaat, Des recherches extrêmement
poussées sont alors enclenchées afin de développer une molécule mortelle, sensible à
la mélanine qui pigmente la peau des noirs. Autrement dit, une arme
d'extermination éthniquement sélective. Le laboratoire militaire du docteur Basson
étudie également, échantillons à l'appui, l'éventualité de propager de graves
épidémies dans les populations africaines. Un volet du Project
Coast s'intéresse aussi au meilleur moyen scientifique de stériliser en masse les
femmes noires.
Les milieux militaires
étrangers spécialisés dans la guerre bio-chimique viennent bien volontiers contribuer
à l'effort de recherche notamment les États-Unis, l'Angleterre et aussi
Israël, la Suisse, la France, l'Irak ou la Libye qui figurent parmi les collaborateurs
généreux ou occasionnels. Et ceci malgré la signature de nombreux traités de
non-prolifération bio-chimique ou l'embargo du régime d'apartheid... Le laboratoire dit
de Roodeplaat était devenu une véritable pharmacie macabre : Butolinum,
Thallium, Anthrax, Sida, Choléra, en quantités hallucinantes
Une
technologie de mort sous l'autorité d'un homme : le docteur Basson, avec pour seule
cible, la population noire.
Les activités de ce docteur ne furent révélées qu' en
1998 lors d'auditions très spéciales de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR).
Mais cela fait maintenant trois ans qu'il est jugé en homme libre, après caution
symbolique, devant la Haute cour de justice de Pretoria. Principalement poursuivi pour
fraude au fisc et production massive de drogue, il n'est que très accessoirement inculpé
d'une soixantaine de meurtres ou de tentatives, parmi lesquels de très hautes
personnalités, comme l'ancien président Mandela, le révérend Franck Chikane (actuel
conseiller du président Mbeki). Cela étant les auditions de la Commission Vérité et
Réconciliation ont montré qu'il était raisonnable de penser que plusieurs milliers de
noirs avaient disparu dans les expériences ou les assassinats politiques pilotés par les
laboratoires qu'il dirigeait.
Aujourd'hui, le docteur Basson vit dans une banlieue
cossue de Pretoria. Cardiologue, il bénéficie même d'un poste à l'Hôpital Académique
de la ville. Ce qui ne rassure pas sa clientèle pour majorité noire. Mais cela signifie
aussi qu'il est toujours employé par l'État sud-africain. À quoi s'ajoute le fait que
Basson est encore à ce jour un membre de l'armée sud-africaine ! Cette situation
pour le moins surprenante est vivement dénoncée par des magistrats de la Commission
Vérité et Réconciliation qui appellent à la mise sur pieds d'un tribunal
international, pour qu'enfin soient jugés les crimes contre l'humanité perpétrés par
Basson et les siens.
Le procès qui lui a été intenté début 1999 n'a pas
levé le voile sur l'ensemble de ses activités criminelles. D'autant que le juge très
conservateur, et très controversé Willie Hartzenberg (frère du président du parti
conservateur sud-africain et nommé sous l'apartheid), est apparu bien partial, réduisant
à chaque audience les accusations comme une peau de chagrin. Durant la procédure
d'enquête ont même disparu les trois CD-Roms du docteur, compilation faite à la va-vite
avant son arrestation et regroupant tous les résultats de ses diverses expérimentations.
Le procès s'est achevé le 12 avril 2002 par
l'acquittement du docteur Basson. Au moment où la Cour pénale internationale voyait le
jour
Le procureur a aussitôt annoncé qu'il ferait appel et Desmond Tutu dans un
message adressé à l'opinion publique a parlé « d'un jour sombre
pour l'Afrique du sud ».
Beaucoup de questions peu de réponses, mais quelques
certitudes : l'arsenal chimique développé n'est pas perdu pour tout le monde, et
son principal instigateur est encore à ce jour un militaire dépendant du ministère de
la Défense, payé par le contribuable sud-africain. Autre certitude les traités de
non-prolifération bio-chimique signés par les pays occidentaux, n'ont pas empêché le
commerce de ce sinistre savoir faire et il n'est pas invraisemblable que sans notre
collaboration, « docteur la Mort » n'ait jamais existé.
À l'heure du terrorisme bio-chimique, il est urgent de
mettre sur pied une commission internationale indépendante afin d'identifier tous ceux
qui ont collaboré au programme Coast, et localiser le stock d'armes
bio-chimiques.
Tristan Mendès France
Assistant parlementaire, journaliste et documentariste. Il a notamment écrit le livre Dr
la mort, Enquête sur un bioterrorisme d'Etat en Afrique du Sud et le documentaire Docteur La
Mort.
La collaboration suisse aux expériences du docteur Basson
Début juin 2002, une délégation parlementaire suisse (dite des
Commissions de gestion ou Dél CdG) est mise sur pied afin d'examiner dans quelle mesure
la Suisse et ses services ont collaboré au programme de guerre bio-chimique sud-africain,
le Project Coast, dirigé par le Docteur Wouter Basson.
Mais le travail de la Dél CdG, qui devrait officiellement rendre son
rapport au printemps 2003, semble avoir été court-circuité. En effet, entre-temps, le
DDPS (Département fédéral de la Défense) a pris l'initiative d'interroger Wouter
Basson directement à Pretoria sous forme de questionnaire sur papier en-tête officiel de
l'administration suisse. L'initiative du DDPS correspond à un acte officiel à un citoyen
étranger résident à l'étranger, ce qu'interdit formellement la Convention de Genève
sans l'accord express du pays concerné, en l'espèce l'Afrique du Sud qui a découvert
l'affaire dans les médias.
Ce fâcheux court-circuitage a été révélé par le journal suisse WeltWoche de la semaine du 20 octobre 2002. La Dél CdG s'est alors
fendu d'une note
d'information le 24 octobre 2002. Elle défausse sa responsabilité sur celle du DDPS
en précisant qu'elle ne se prononcera plus sur ses activités jusqu'à la remise de son
rapport. Le DDPS a, quant à lui, admis avoir commis une « erreur »
dans ses transmissions, tout en déclarant à son tour, que « la Dél CdG
est responsable de ses actes devant le Parlement ».
Reste que la Suisse se trouve dorénavant dans une situation délicate
vis-à-vis de l'Afrique du Sud qui risque de ne plus collaborer à l'enquête. Une
manière originale d'enterrer un sujet qui dérange.
Livre & documentaire
Dr la mort, Enquête sur un bioterrorisme d'Etat en Afrique du Sud
par Tristan Mendès-France
Passé sous
silence - Docteur La Mort
Documentaire écrit par Tristan Mendès-France et réalisé par Jean Pierre Prévost.
France 3, jeudi 31 octobre 2002, 23h55 (50 min)
Rapports
La maîtrise des
armements chimiques et biologiques, rapport de l' Assemblée parlementaire de
l'Union de l'Europe occidentale (UEO), 5 décembre 2001. Voir notamment l'introduction du
rapport et le chapitre « Les difficultés d'application
de la CAB »
Les rapports entretenus
par les services de renseignements suisses avec l'Afrique du Sud, rapport de la
Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales sur le rôle des Services
de renseignements suisses dans le cadre des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud.
Voir notamment, dans le
chapitre 2, la partie « Prétendue participation du Laboratoire AC de Spiez aux
projets sud-africains de développement d'armes biologiques et chimiques ».
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