Recevant lundi les principaux médias de son pays, le Premier ministre turc
Abdullah Gul a laissé entendre qu'Ankara pourrait participer activement à la guerre
contre l'Irak si une majorité en ce sens se dégageait au Parlement. Ce revirement était
indispensable aux États-Uniens pour déployer une offensive terrestre contre Bagdad. Or,
au cours des mois précédents, Ankara avait tenté de monnayer sa participation militaire
auprès de Washington en échange de son entrée dans l'Union européenne et de la
reconnaissance de son occupation de Chypre. Mais ces efforts avaient échoué. Dès lors,
le virage politique de la Turquie laisse penser qu'Ankara a obtenu une autre
compensation : le contrôle, voire l'annexion, du Kurdistan irakien. C'est cette
perspective qui mobilise Kendal Nezan dans Le Figaro. (Kendal Nezan
est président de l'Institut
kurde de Paris).
Aujourd'hui, les Kurdes irakiens craignent plus une
attaque de la Turquie contre eux qu'une attaque de l'armée de Saddam Hussein. Certes,
l'AKP est moins anti-kurde que ne l'étaient ses prédécesseurs nationalistes, mais
l'armée turque détient le vrai pouvoir dans le pays et se moque bien des orientations du
gouvernement civil. Elle a déjà commencé à rassembler ses troupes à la frontière
irakienne. Lors de la visite de Paul Wolfowitz à Ankara, les
militaires n'ont pas hésité à déclarer qu'une « invasion temporaire » du
Kurdistan irakien par leurs troupes était envisageable.
Une telle attaque détruirait toute les réalisations de la jeune démocratie kurde et ne
se base sur aucune justification un tant soit peu crédible, malgré la pro! pagande des
médias turcs. En effet, les responsables kurdes ne veulent pas l'indépendance, mais un
régime fédéral en Irak. La Turquie n'a aucun mandat, ni droit de regard, sur les Kurdes
des pays voisins. Les « droits historiques » de la Turquie sur Mossoul ont
déjà été tranchés en 1925 par la SDN en faveur de l'Irak.
Par contre, une intervention turque en Irak pourrait entraîner une aggravation terrible
de la situation dans toute la région en poussant l'Iran et l'Irak à contre attaquer et
en entraînant les pays arabes et l'OTAN à s'impliquer dans le conflit.
Il est urgent que les dirigeants de l'Union Européenne pèsent de tout leur poids pour
empêcher Ankara d'agir. L'UE doit demander à la Turquie de reconnaître aux Kurdes les
mêmes droits que ceux que les Turcs veulent obtenir pour les turcophones chypriotes, de
respecter les frontières internationales et de diminuer ses dépenses militaires a! fin
de restaurer le pouvoir civil.
Kendal Nezan |