Pour contrer l'influence soviétique en Europe, les États-Unis ont
constitué, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un réseau d'élites proaméricaines.
La CIA a ainsi financé le Congrès pour la liberté de la culture, par lequel sont
passés de nombreux intellectuels européens, au premier rang desquels Raymond Aron et
Michel Crozier.
Chargés, pendant la Guerre froide, d'élaborer une idéologie
anticommuniste acceptable en Europe à la fois par la droite conservatrice et par la
gauche socialiste et réformiste, ces réseaux ont été réactivés par l'administration
Bush. Ils constituent aujourd'hui les relais européens des néo-conservateurs
états-uniens.
Le président français Jacques Chirac fait face à une dissidence
conduite par Pierre Lellouche et Alain Madelin au sein de son propre mouvement politique.
Les deux députés mènent campagne pour que la France s'aligne sur les États-Unis. Tous
deux sont membres de think thanks états-uniens, dans lesquels ils côtoient des faucons
de l'administration Bush.
Le président Chirac, dont la politique irakienne avait
reçu le soutien
solennel de 122 députés de son parti (l'UMP), est contesté dans ses propres rangs.
La dissidence est conduite par Pierre Lellouche et Alain
Madelin qui, tous deux, tentent de rallier la France aux États-Unis. Ils
ont choisi de mettre directement en cause la capacité du président de la République à
conduire la politique étrangère du pays au moment où une campagne internationale de
dénigrement contre Jacques Chirac est organisée par le département de la Défense.
Dans les années soixante, déjà, le président Charles
De Gaulle avait dû identiquement affronter le lobby atlantiste dans son propre parti.
Lâché par les États-Unis qui lui reprochaient de laisser le champ libre aux
Soviétiques en Algérie, De Gaulle dû faire face au « putsch des
généraux », puis à une série de tentatives d'assassinat (voir à ce sujet
: « Quand le stay-behind voulait remplacer De Gaulle »).
Lorsqu'il eut repris la situation en main, il expulsa l'OTAN et dénonça l'influence d'hommes politiques
financés par Washington. S'en prenant à Jean Lecanuet et Alain Poher, il
stigmatisa « le Parti de l'étranger ».
Cette expression fut reprise, en 1978, par Jacques Chirac
dans son « Appel de Cochin ». Le jeune Premier ministre
s'en prenait directement au président Giscard d'Estaing. Il dénonçait avec violence
l'instrumentalisation des institutions européennes par les États-Unis pour faire rentrer
la France dans le rang atlantiste : « Il est des heures graves
dans l'histoire d'un peuple où sa sauvegarde tient toute dans sa capacité de discerner
les menaces qu'on lui cache [
]. Tout nous conduit à penser que
derrière le masque des mots et le jargon des technocrates, on prépare l'inféodation de
la France, on consent à l'idée de son abaissement. En ce qui nous concerne, nous devons
dire non [
]. Comme toujours lorsqu'il s'agit du rabaissement de
la France, le Parti de l'étranger est à l'uvre avec sa voix paisible et
rassurante. Français ne l'écoutez pas. C'est l'engourdissement qui précède la
paix et la mort ».
Dans le bras de fer sur l'Irak, Alain
Madelin ne s'est pas contenté pas de saper l'autorité du président
Chirac dans son parti, il est allé chercher des appuis outre-atlantique pour renforcer
son offensive. Ainsi, s'est-il exprimé, le 11 avril 2003, devant un parterre de
dirigeants conservateurs à l'Heritage Foundation, le think thank des reaganiens.
Il y a présenté Jacques Chirac comme un mégalomane, qu'il a qualifié de « Napoléon Junior », et les dirigeants français comme
d'incorrigibles orphelins du marxisme devenus les propagandistes dans le monde de
l'anti-globalisation et de l'anti-américanisme. La prestation a été si appréciée que
le service d'information du département d'État lui a consacré une dépêche : « Un politicien français regrette que les États-Unis aient essuyé
des critiques ».
Nous reproduisons ci-dessous une notice
biographique d'Alain Madelin (publiée il y a cinq ans par le Reseau Voltaire), ainsi
qu'une notice relative à Pierre Lellouche.
Alain Madelin, de l'extrême droite
française aux think thank états-uniens
Après une jeunesse mouvementée à l'extrême droite,
Alain Madelin est recruté par l'Institut d'histoire sociale, une officine anticommuniste
mise en place par les services états-uniens autour d'anciens dirigeants
collaborationnistes. Il y participe à la diffusion en France des idées libérales de
l'École de Chicago, puis essaie d'appliquer dans la vie politique française les méthode
états-unienne, en s'entourant notamment d'un « think tank » de grands
patrons. En 1996, il participe à la création de la New Atlantic Initiative, qui
rassemble le gratin du Pentagone et du Département d'État. Il préside l'International
Center for Research on Environnemental Issue.
Alain Madelin est né le 26 mars 1946 à Paris. Il est
cousin du père Henri Madelin, ancien provincial des jésuites et actuel aumônier
national du Mouvement des cadres et dirigeants chrétiens.
À dix-huit ans, en 1964, Alain Madelin fonde le mouvement Occident
avec ses camarades Alain Robert, Gérard Longuet, François Duprat, Xavier Raufer et Nicolas Tandler.
Après l'échec de la candidature Tixier-Vignancourt et le
départ de Pierre Sidos, fin 1966, Alain Madelin, qui a été
remarqué par Georges Albertini, est engagé à l'Institut d'histoire sociale (IHS),
une officine anticommuniste mise en place par les services américains autour d'anciens
dirigeants collaborationnistes. Tout en y travaillant, il finit ses études de droit et
devient avocat au barreau de Paris.
À l'IHS, Georges Albertini s'efforce de
« blanchir » le jeune militant d'extrême droite, de lui donner une solide
formation anticommuniste, et de lui ouvrir les portes des organisations politiques
respectables. Bientôt, ce brillant élève devient l'un des six professeurs permanents de
l'IST, l'appendice de l'IHS agréé organisme de formation continue par le ministère de
l'Éducation nat ionale. Dans le cadre du 1 % patronal, Alain Madelin y forme les cadres
de grandes entreprises à mener bataille contre les syndicats. Il dirige aussi l'un des
nombreux bulletins édités en marge de l'IHS, Informations politiques et sociales.
Simultanément, il rejoint les Républicains indépendants
(FNRI) et se présente aux élections législatives de 1973 dans les Hauts-de-Seine. En
1974, avec Hubert Bassot, il met en place le service d'ordre de la campagne
présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing, en recrutant leurs anciens camarades
d'Occident, passés entre-temps à Ordre nouveau. Toujours pendant cette campagne, Alain
Madelin et les permanents de l'IHS produisent un bulletin anti-Mitterrand, Spécial
Banlieue, au titre d'une société, SA Média-Production, dont les principaux
actionnaires sont Catherine Barnay et Patricia Sallustri, épouse d'Alain Madelin.
En 1977, il devient membre du secrétariat national des
Républicains indépendants et chargé de mission au cabinet de Claude Coulais,
secrétaire d'État à l'Industrie. En 1978, il est élu député (UDF-PR)
d'Ille-et-Vilaine et devient délégué national du Parti républicain (ex-FNRI) chargé
de la formation, fonction qu'il remplit dans le cadre de ses activités à l'IHS. Pendant
la législature, il préside à l'Assemblée les groupes d'études sur l'informatique et
sur les problèmes de la faim dans le monde. En 1981, il participe à l'équipe de
campagne présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing. Réélu député, il devient
délégué national du PR, chargé de la communication.
Il semble qu'il cesse ses fonctions à l'IHS, mais pas ses
contacts, lorsque celui-ci est réorganisé, en 1983, à la mort de Georges Albertini. Il
se consacre alors essentiellement au PR, dont il devient délégué général, en 1985. En
1986, il est élu conseiller régional de Bretagne et nommé ministre de l'Industrie des
P&T et du Tourisme dans le gouvernement Chirac. Il s'entoure alors d'un « think
tank » de grands patrons, le Grenelle Consulting Group. Ce
noyau donne naissance à l'Institut Euro 92 d'Henri Lepage, dont il est président. C'est
à cette époque que, fidèle à ses contacts américains, il devient membre de la très
fermée Société
du Mont Pèlerin, le club international des économistes libertariens.
En 1988, il est réélu député d'Ille-et-Vilaine et
devient secrétaire général du PR. En 1989, il dirige la campagne de la liste UDF aux
élections au Parlement européen, dont la tête de liste est Valéry Giscard d'Estaing.
Élu lui-même au Parlement européen, il abandonne ce mandat, préférant siéger à
l'Assemblée nationale. Simultanément, il devient, en 1992 membre du bureau politique de
l'UDF et vice-président du Conseil régional de Bretagne.
En 1993, il est nommé ministre des Entreprises et du
Développement économique dans le gouvernement Balladur. C'est à cette époque qu'il
crée le mouvement Idées-Action, s'assurant ainsi
une autonomie au sein du PR dont il devient le premier vice-président.
En 1995, il s'engage dans la campagne présidentielle de
Jacques Chirac pour qui il rédige un programme stigmatisant la fracture sociale et
assurant qu'elle peut être résolue par une politique ultra-libérale. Après la victoire
de Jacques Chirac, il est nommé ministre de l'Économie et des Finances du 1er
gouvernement Juppé. Il en est débarqué, trois mois plus tard, après qu'Alain Juppé
eut pris connaissance de la littérature interne de son cabinet. Celui-ci, composé de
quarante-neuf membres (quatorze officiels et trente-cinq officieux), préparait en secret
une série de décrets en vue de la « révolution libérale » qui devait
intervenir dans une situation de crise majeure qu'Alain Madelin appelait de ses vux.
En 1996, il se rapproche des lobbies religieux et
introduit des références aux valeurs chrétiennes dans ses discours publics. À la même
époque, il participe à la création de la New Atlantic
Initiative, une émanation de l'American Entreprise Institute chargée de promouvoir
l'extension de l'OTAN et l'établissement d'une zone de libre-échange
américano-européenne.
En 1997, il participe à diverses tentatives de
constitution d'un pôle « national, libéral et moral » avec le CNI d'Olivier
d'Ormesson, le MPF de Philippe de Villiers, Demain la France de Charles Pasqua, et même
le MDC de Jean-Pierre Chevènement. En définitive, aux élections législatives seuls le
CNI et le MPF firent accord. Au lendemain de la consultation, Alain Madelin aida François
Léotard à arracher la présidence de l'UDF à Valéry Giscard d'Estaing à la condition
de lui laisser la présidence du PR qu'il rebaptisa en Démocratie libérale. Ce jeu de
chaises musicales rencontra la vaine opposition de Gilles de Robien.
Par ailleurs, Alain Madelin est toujours avocat à la Cour
de Paris, associé au cabinet Peisse-Dupichot-Zirah. Il s'y est spécialisé dans le droit
de la concurrence, le droit de l'environnement et les arbitrages internationaux, notamment
concernant les pays de l'Est. C'est dans ce cadre professionnel qu'il préside
l'International Center for Research on Environnemental Issue.
Pierre Lellouche, l'OTAN à l'UMP
Spécialiste des questions de défense, Pierre Lellouche
enseigne dans diverses écoles de guerre. En 1992, il devient membre de l'International
Institute of Strategic Studies de Londres. En 1993, il est élu vice-président de l'OSCE.
En 1994, il est coopté à la Commission trilatérale. Il est, depuis 2002,
vice-président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Administrateur
de l'Atlantic Partnership, il y siège aux côtés d'Henry Kissinger, de Micheal Howard
(qui a publié le célèbre rapport accusant l'Irak de détenir des armes de destruction
massive) et d'Henry Hyde (le président de la Commission des relations internationales de
la Chambre des représentants qui vient de faire augmenter les budgets officiels de
propagande du département d'État).
Né le 3 mai 1951 à Tunis, Pierre Lellouche est diplômé
de l'Institut d'Études Politiques de Paris et docteur en droit de l'université
d'Harvard. De 1974 à 1978, il travaille aux côtés de Raymond Aron au Groupe d'études
et de recherches des problèmes internationaux (GERPI). Ce dernier était un intellectuel
anti-communiste dont les travaux étaient subventionnés par la CIA (Cf. The
CIA and the World of Arts and Letters, The Cultural Cold War par Frances Stonor
Saunders, The New Press, 1996). Aron travaillait en étroite collaboration avec Irving
Kristol, père de Bill Kristol (actuel directeur de l'hebdomadaire néo-conservateur, The Weekly Standard,
qui fit campagne pour la guerre contre l'Irak). Dans cette période, il milite en faveur
du développement d'Israël et effectue divers stages en kibboutz.
En 1979, Pierre Lellouche est chercheur, puis directeur
adjoint, de l'Institut français des
relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue de l'Institut, Politique étrangère. Il enseigne à l'ENA, à l'IHEDN et dans diverses
écoles de guerre. Il collabore à de nombreuses publications, Newsweek,
The International Herald Tribune, Le Figaro etc. En 1989, il devient conseiller
diplomatique du maire de Paris, Jacques Chirac. En 1992, il entre au comité éditorial de
Survival, la revue de l'International
Institute of Strategic Studies de Londres. Élu député, en 1993, il devient le
spécialiste des questions de défense au RPR. Représentant de l'Assemblée nationale à
l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, il est élu vice-président de cette organisation.
En 1994, il est coopté à l a Commission trilatérale. Lorsque Jacques Chirac est élu
président de la République, il devient l'un de ses conseillers diplomatiques.
Pierre Lellouche est aujourd'hui vice-président
de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. À ce titre, il siège au Comité
exécutif de l'European Strategy Group
on Common Defence and Common Defence Policy. Il a créé
avec Olivier Dassault le Cercle international, une association de chefs d'entreprises et
d'hommes politiques atlantistes. Il est éditorialiste de Valeurs
actuelles, l'hebdomadaire d'Olivier Dassault dirigé par Michel Gurkinkel, un expert
du cabinet états-unien Benador Associates et ami de
Richard Perle.
Administrateur de l'Atlantic Partnership, il y siège aux
côtés de Micheal Howard, président émérite de l'International Institute of Strategic
Affairs de Londres - dont Lellouche est par ailleurs membre - et qui a publié, en 2002,
le célèbre rapport accusant l'Irak de détenir des armes de destruction massive sur
lequel le département d'État s'est appuyé pour justifier de la guerre. À l'Atlantic
Partnership, il siège aussi aux côtés d'Henry Kissinger et d'Henry Hyde, le président
de la Commission des relations internationales de la Chambre des représentants qui vient
de faire augmenter les budgets officiels de propagande du département d'État.
Sur les liens de l'actuel Président
des Etats-Unis avec les fascistes. |