La démocratie britannique se rebiffe Désignée
par le gouvernement Blair, la Commission d'enquête indépendante de Lord Hutton sur les
circonstances du décès du Dr Kelly plonge le Royaume-Uni dans un profond psychodrame.
Chaque soir la télévision publique BBC2 donne un compte-rendu détaillé des auditions,
tandis que la Commission Hutton publie sur un site internet dédié les documents qui lui
sont remis. Bien que l'enquête ne porte en théorie que sur un fait divers, elle donne
lieu à un grand déballage dans lequel des fonctionnaires de tous grades viennent
défendre les procédures démocratiques malmenées par le gouvernement Blair. De manière
inattendue, c'est l'audition d'un chef de service du Renseignement militaire, le Dr Brian
Jones, qui a fait basculer les débats. Elle est largement reproduite et commentée par la
presse britannique. Il semble que les imputations selon lesquelles l'Irak disposait
d'armes de destruction massives et pouvait les utiliser en 45 minutes aient été
âprement discu tées au sein du Comité joint du renseignement (JIC). Mais le conseiller
en communication de Tony Blair, Alastair Campbell aurait décidé de publier cette
imputation sans attendre l'avis définitif du JIC pour emporter la conviction de l'opinion
publique et attaquer l'Irak.
Dans toute cette affaire, c'est la presse britannique - et notamment la BBC - qui a
révélé les trucages de la propagande gouvernementale. Et ce sont de simples citoyens
qui, venant déposer devant la Commission d'enquête, révèlent les manquements des
dirigeants politiques aux procédures démocratiques. A contrario,
cette leçon de démocratie met en relief les carences de la presse et du civisme aux
États-Unis. Outre-Atlantique, les grands médias n'ont toujours pas remis en cause les
allégations de l'administration Bush à propos du 11 septembre, aucune commission
d'enquête n'a organisé d'auditions publiques et aucun fonctionnaire n'a témoigné
publiquement.
A cet egard les interrogations sur le rôle de la presse, si différent d'un pays à
l'autre, sont enrichies par les témoignages des correspondants de guerre (analysés
par Jean-Marie Charon in Libération), qui pose l'hypothèse que
les accidents à répétition ayant causé la mort de journalistes en Afghanistan et en
Irak sont en réalité des éléments d'une nouvelle stratégie de communication
militaire : contraindre les journalistes à s'intégrer dans les unités
combattantes, donc les obliger à choisir leur camp.
Voici la Transcription
de l'interrogatoire du Dr. Jones par la Commission Hutton . Site de la Commission Hutton
(Royaume-Uni) : « Les exagérations des rapports
britanniques »
Ce texte est un résumé de la déposition du Dr Brian
Jones devant la commission d'enquête Hutton sur les circonstances de la mort du Dr. David
Kelly. Le Dr Brian Jones est un scientifique qui a travaillé pour le ministère de la
Défense britannique depuis 1973. Récemment retraité, il a dirigé, de 1987 jusqu'à sa
retraite, la section chargée de l'étude scientifique des renseignements relatifs aux
armes chimiques, biologiques et nucléaires. " Dans le cadre de mes fonctions, il
m'arrivait de travailler avec le Dr. David Kelly à partir de 1986. Il était spécialisé
dans le domaine des armes biologique, d'abord concernant l'ex-URSS, puis concernant l'Irak
après la guerre du Golfe. Il était devenu un expert de l'armement irakien et que nous le
consultions donc régulièrement.
Quand le gouvernement britannique a fournit son rapport sur les armes chimiques,
biologiques et nucléaires irakiennes, j'étais absent car je prenais des vacances entre
le 30 août et le 18 septembre 2002. Durant cette période, mon équipe a dû travailler
très activement sur le dossier irakien et on lui a demandé de rendre ses conclusions
rapidement. Après ces travaux, j'ai interrogé le Dr. Kelly sur ce qu'il pensait du
rapport qui avait été publié et il le trouvait bon. Ce n'était cependant pas le cas de
l'expert en armes chimiques de notre groupe qui estimait que ses
analyses avaient été déformées et exagérées.
Nos travaux précisaient que l'Irak avait peut-être
pu développer des agents chimiques alors que le dossier se montrait beaucoup plus
affirmatif. À plusieurs endroits, nos textes ont été
expurgés de précautions que nous prenions vis-à-vis de certaines affirmations.
Nous n'avions pas de preuves
tangibles que l'Irak développait des agents chimiques et biologiques et
moins encore qu'il pouvait les utiliser en 45 minutes.
La partie concernant ces 45 minutes est d'ailleurs douteuse. Elle a soulevé de nombreuses
réserves dans mon équipe car elle se base sur des
informations de seconde main, anonymes et non recoupées (ce que le Dr.
Kelly savait). La formulation même est douteuse car il est question d'une durée pour
envoyer des « armes de destruction massive », alors qu'on ne lance pas des
armes biologiques et chimiques de la même façon tandi s que la déclaration laissait
penser que c'était le cas. "
(transmis par Reseau Voltaire)
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