Fin mars, le Bureau des communications
globales (Office of Global Communications - OGC), a requis une étude sur la manière
de rehausser l'image de la Coalition dans les médias internationaux. L'OGC réunit chaque
jour à la Maison-Blanche les responsables états-uniens de la propagande et par
vidéo-conférence ceux du 10 Downing Street. Le rapport remis à l'OGC a été réalisé
par le Groupe tactique d'opérations psychologiques (Psychological Operations Tactical
Group - PsyOpsTG) du Commandement des forces spéciales d'infanterie basé au Koweït
(ARCENT-Koweit). Il a été intercepté par le FSB russe et transmis aux officiers qui
réalisent « à titre privé » le site iraqwar.ru.
Dans ce rapport, le PsyOpsTG préconisait de réunir devant la presse les prisonniers de
guerre irakiens de manière à ce que la vision d'un groupe nombreux face croire que les
redditions étaient massives. Surtout, le PsyOpsTG a proposé de mettre en scène la « libération de Bagdad » et des « manifestations
de liesse populaire » de manière à corriger l'image coloniale de la Coalition.
C'est chose faite grâce avec l'épisode de la place Fedaous. Si une guerre s'est
terminée le 9 avril 2003 ce n'est pas celle de l'information. La fin de quelle
guerre ?
Personne n'a échappé, le 9 avril 2003 au
« déboulonnage » d'une statue de Saddam Hussein sur la place Fedaous de
Bagdad. Cet évènement a unanimement été décrit par la presse comme symbolisant la
chute de la capitale irakienne. Cependant, il convient de replacer cette scène de liesse
populaire dans son contexte pour en saisir le déroulement exact et la vraie nature.
Une première dépêche AFP signale qu'un regroupement de véhicules militaires US (une
douzaine, précise Reuters) a eu lieu à 12h40 GMT sur la place Fedaous, à proximité de
l'hôtel Palestine où résident la plupart des journalistes occidentaux. Ce n'est qu'une
heure plu s tard que Reuters signale la présence d'une « foule
approbatrice de plusieurs dizaines de personnes » (transformée en plusieurs « centaines de manifestants » par Associated Press).

La place Fedaous
Un plan large de la place Fedaous révèle la mise en scène : la place est
encerclée par des véhicules militaires états-uniens et « la foule » se
limite à quelques dizaines de personnes.
|
Dès le début du
rassemblement, Associated Press Television Network (APTN), l'agence de presse vidéo
états-unienne, filme en plan serré la place Fedaous et retransmet les images en direct
sur son réseau, comme si elle savait que quelque chose allait se produire. Le fait que la
manifestation se déroule à proximité de l'hôtel Palestine est une véritable aubaine
pour les quelques 200 journalistes, dénombrés par Associated Press,
qui ne tardent pas à se masser sur la place. Les manifestants, a proximité desquels
Indymedia a identifié un membre de
la milice d'Ahmed Chalabi (les « Free Iraqi Forces »), peuvent commencer
la mise en scène.
Acte 1 : Le peuple,
impuissant, mais motivé
Un
manifestant s'approche du piédestal et entreprend de l'attaquer à la masse. L'entreprise
est vouée à l'échec et présente même un caractère dérisoire étant donné le volume
du socle de la statue. Peu importe, cette image en évoque une autre pour les
téléspectateurs : celle de la chute du Mur de Berlin, en 1989, où chacun apportait
son marteau et son burin pour détruire symboliquement le mur. Dès les premières
dépêches, Reuters souligne à l'attention des journalistes qui auraient mal compris
l'allusion que la scène « rappelle la chute du Mur de
Berlin ».
Acte 2 : Le recours à
la puissance états-unienne
Ayant
essayé, sans succès, de tirer la statue d'Hussein à l'aide d'une corde, « les
Irakiens demandent l'aide d'un char américain, un symbole dans le symbole »,
rapporte TF1. La valeur symbolique de l'événement n'a échappé à personne, pas même
à France 2 : « n'y arrivant pas seuls, et c'est la tout un
symbole, les Irakiens vont faire appel à un char américain ». Par chance, un
blindé états-unien, équipé pour la circonstance d'un dispositif le transformant en
grue est justement stationné à côté. Il s'approche de la statue.
Acte 3 : L'effacement
des États-Unis
Le
Marine Edward Chin, du 3eme bataillon de Marines, monte sur la statue afin d'y attacher le
câble. Il en profite pour recouvrir la tête de la statue d'un drapeau états-unien,
rapidement remplacé par un drapeau irakien de manière à montrer que les États-Unis
réfrènent leur toute-puissance et cèdent la place aux Irakiens.
Acte 4 : La chute
La statue est arrachée de son socle. C'est la chute de Saddam Hussein et son lynchage
symbolique par les manifestants.
Très rapidement, les principaux officiels états-uniens se saisissent de l'événement et
en soulignent l'importance à destination des journalistes qui l'auraient sous-estimée en
n'y voyant que la destruction d'une statu e par l'armée américaine. C'est bien plus que
cela, explique Donald Rumsfeld : « On ne peut s'empêcher de
penser à la chute du Mur de Berlin et l'écroulement du rideau de fer ». Moins
d'un heure plus tard, le porte parole de la Maison-Blanche, Ari Fleicher, souligne
l'importance de ce qui vient de se produire.
La réaction des médias est à la hauteur de la mise en scène. Tous les networks
états-uniens relaient l'information. Sur LCI, bien que l'envoyé spécial ne soit pas sur
place, on commente en direct les images d'APTN : « Le peuple se
précipite pour lyncher la statue ». Plus tard, au journal de 20h sur France 2,
on annonce également que c'est le « peuple » qui « se précipite pour lyncher, autre symbole, la tête » de
bronze. Pourtant la chaîne de service public dispose d'un recul plus important et a
forcément lu la dépêche Reuters préci sant que le « peuple »
en question se résume à quelques dizaines de personnes.
Le lendemain, aucun quotidien n'a échappé à l'image choc, comme en témoigne cette
impressionnante collection de Unes des
journaux du monde entier, le 10 avril. Le message est passé : avec cette statue,
c'est le régime de Saddam Hussein qui est tombé. La guerre a duré 21 jours, elle est
terminée, les États-Unis ont gagné, ils ont libéré les Irakiens.
(transmis par Reseau Voltaire)
|