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6 Mars 2003

Un diplomate états-unien de l'administration Bush démissionne

G.W.Bush et les USA utilisent Al Qaïda comme « allié administratif »

Le 27 février 2003, John Brady Kiesling, conseiller politique à l'Ambassade des États-Unis à Athènes, a présenté sa démission au secrétaire d'État Colin Powell. « Les politiques que l'on nous demande maintenant de promouvoir sont incompatibles, non seulement avec les valeurs américaines, mais avec les intérêts américains », explique John Brady Kiesling, après plus de vingt ans de carrière dans la diplomatie états-unienne, notamment à Tel-Aviv, Casablanca et Yerevan. Contestant « le sacrifice de ces intérêts globaux à la politique intérieure » et la « manipulation systématique de l'opinion publique américaine », le diplomate affirme : « ce gouvernement a choisi d'utiliser le terrorisme comme un argument de politique intérieure, enrôlant un Al Qaïda dispersé et largement affaibli comme allié administratif ».

Monsieur le secrétaire d'État,

Je vous écris pour vous signifier ma démission du département d'État des États-Unis et de ma fonction de Conseiller Politique à l'Ambassade américaine à Athènes, à dater du 7 mars. Je le fais le cœur lourd. Mon éducation incluait un sens du devoir vis-à-vis de mon pays. Servir les États-Unis en tant que diplomate était donc un rêve. J'étais payé pour comprendre les langues et les cultures étrangères, pour rencontrer des diplomates, des politiciens, des savants et des journalistes, afin de les persuader que les intérêts américains et les leurs coïncidaient. La foi que j'avais dans mon pays et dans ses valeurs était l'arme la plus puissante de mon arsenal diplomatique.

Il est inévitable qu'en vingt années de service, je devienne plus sceptique et cynique au vu des motifs purement bureaucratiques, égoïstes et étroits qui ont parfois tracé les contours de nos politiques. La nature humaine étant ce qu'elle est, j'ai été récompensé et promu parce que je la comprenais. Cependant, jusqu'à l'arrivée de ce gouvernement, il m'a été possible de croire qu'en soutenant la politique de mon président, je promouvais aussi les intérêts du peuple américain et du monde. Je n'y crois plus.

Les politiques que l'on nous demande maintenant de promouvoir sont incompatibles, non seulement avec les valeurs américaines, mais avec les intérêts américains. Notre acharnement à vouloir la guerre avec l'Irak nous mène à gaspiller la légitimité internationale qui fut l'arme la plus puissante des États-Unis depuis l'époque de Woodrow Wilson. Nous avons commencé à démanteler le réseau relationnel le plus étendu et le plus efficace que le monde ait jamais connu. Notre trajectoire actuelle ne peut qu'apporter instabilité et danger, au lieu de la sécurité.

Le sacrifice de ces intérêts globaux à la politique intérieure et à des intérêts égoïstes n'est pas nouveau et ce n'est certes pas un problème purement américain. Cependant, nous n'avions pas connu une telle distorsion systématique des informations, ni une manipulation aussi systématique de l'opinion publique américaine depuis la guerre du Vietnam. La tragédie du 11 septembre nous avait laissés plus forts qu'avant, rassemblant autour de nous une vaste coalition internationale prête à coopérer pour la première fois d'une manière systématique contre la menace du terrorisme. Cependant, au lieu d'utiliser le bénéfice de ce succès et construire quelque chose de solide sur cette base, ce gouvernement a choisi d'utiliser le terrorisme comme un argument de politique intérieure, enrôlant un Al Qaïda dispersé et largement affaibli comme allié administratif. Nous avons répandu une terreur et une confusion démesurée dans le public, liant arbitrairement deux problèmes sans relation, le terrorisme et l'Irak. Le résultat, mais peut-être aussi le motif, a été de justifier le déplacement à mauvais escient de fonds publics en décroissance vers les dépenses militaires et d'affaiblir les garde-fous qui protègent les citoyens américains de la lourde main du gouvernement. Le 11 septembre n'a pas fait autant de mal à la structure de la société américaine que ce que nous semblons déterminés à nous infliger nous-mêmes. La Russie des derniers Romanov est-elle notre modèle, un empire égoïste et superstitieux fonçant vers l'autodestruction au nom d'un statu-quo condamné d'avance ?

Nous devrions nous demander pourquoi nous n'avons pas réussi à persuader plus de gens qu'une guerre avec l'Irak est nécessaire. Au cours des deux dernières années, nous en avons trop fait, persuadant nos partenaires dans le monde que des intérêts américains, étroits et financiers, passaient au-dessus de leurs valeurs les plus chéries. Même quand nos buts n'étaient pas contestables, notre cohérence l'a été. L'exemple de l'Afghanistan réconforte peu nos alliés lorsqu'ils se demandent sur quelles bases nous voulons reconstruire le Moyen-Orient, dans l'intérêt de qui. Sommes-nous vraiment devenus aveugles, comme la Russie l'est en Tchétchénie, comme Israël l'est dans les territoires occupés, pour ignorer qu'un pouvoir militaire écrasant n'est pas la réponse au terrorisme ? Lorsque les ruines de la guerre en Irak s'additionneront à celles de Grozny et de Ramallah, qui donc pourra encore nous suivre ?

Nous disposons encore d'une coalition solide. La loyauté de beaucoup de nos amis est impressionnante, un tribut au capital moral que l'Amérique a accumulé au cours du siècle dernier. Cependant, nos alliés son moins persuadés du fait que la guerre soit justifiée que du danger de laisser les États-Unis glisser dans un complet égocentrisme. La loyauté devrait être réciproque. Pourquoi notre président tolère-t-il la manière fanfaronne et méprisante de son administration, même aux plus hauts niveaux, traite nos amis et alliés ?

Je vous en prie, écoutez les amis de l'Amérique partout dans le monde. Même ici, en Grèce, que l'on dit être le siège de l'anti-américanisme le plus virulent, nous avons plus d'amis que le lecteur moyen de la presse américaine ne peut le supposer. Même lorsqu'ils se plaignent de l'arrogance américaine, ils savent que le monde est un endroit dangereux et difficile et ils veulent un système international solide, avec les États-Unis et l'Europe travaillant main dans la main. Quand nos amis ont peur de nous au lieu d'avoir peur pour nous, il est temps de s'interroger. Et maintenant, ils sont inquiets. Qui va leur dire de manière convaincante que les États-Unis sont toujours, comme ils l'étaient, un phare de liberté, de sécurité et de justice pour la planète ?

Monsieur le secrétaire d'État, j'éprouve beaucoup de respect pour votre personnalité et vos compétences. Vous avez sauvegardé pour nous plus de crédibilité internationale que n'en mérite notre politique et maintenu un aspect positif à ce gouvernement, malgré ses excès idéologiques. Cependant, votre loyauté envers le président va trop loin. Nous exigeons trop d'un système international que nous avons peiné à construire. Son réseau de lois, de traités et d'organisations ont bien plus maintenu à l'écart nos ennemis qu'ils n'ont limité la capacité de l'Amérique à défendre ses intérêts.

Je démissionne parce que j'ai échoué à faire coordonner ma conscience et mes capacités à servir la présente administration. Je garde cependant confiance dans le fait que notre système démocratique est auto-correcteur. J'espère que, d'une toute petite manière, je pourrai continuer de l'extérieur à définir des politiques qui serviront mieux la sécurité et la prospérité du peuple américain et du monde que nous partageons.

John Brady Kiesling

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