Au Congrès des États-Unis, le représentant Henry A. Waxman met en cause
l'administration Bush sur les fausses preuves qu'elle a fournies au sujet de la capacité
nucléaire de l'Irak. Dans une lettre adressée à Condoleezza Rice, la conseillère pour
la Sécurité nationale, il souligne les mensonges du
gouvernement et lui demande de s'expliquer devant la représentation
nationale. Voici l'intégralité des propos:
Congrès des États-Unis, Chambre des Représentants, 10
juin 2003, à L'honorable Condoleezza Rice
Conseillère du Président pour la sécurité nationale, Maison-Blanche, Washington, Dc
20500
Cher Dr Rice,
Depuis 17 mars 2003, j'essaie, sans succès d'obtenir une
réponse claire à une question simple : pourquoi le président Bush a-t-il cité de
fausses preuves concernant la capacité nucléaire de l'Irak dans son discours sur l'état
de l'Union ?
Bien que vous ayez abordé cette question dimanche dernier
à la télévision lors des émissions Meet the Press et This Week with George Stephanopoulos, vos commentaires n'ont pas
clarifié la situation. Au contraire, vos réponses sont en contradiction avec d'autres
faits établis et ont soulevé une foule de nouvelles questions.
Pendant ces interviews vous avez affirmé que
l'administration Bush n'était pas opposée à des enquêtes en la matière. Hier, le Washington Post a indiqué que le directeur de la CIA, George Tenet a
accepté de fournir « toute la documentation » dont ils
dispose en matière de renseignement « en rapport avec les remarques
du secrétaire d'État Powell, du Président ou de toute autre personne ». C'est
dans cet esprit que je vous écris pour obtenir plus d'informations sur cette question
importante.
L'administration Bush était au courant des
falsifications
Les documents falsifiés dont il est question décrivent
des efforts réalisés par l'Irak pour obtenir de l'uranium d'un pays africain, le Niger.
Pendant vos interviews ce week-end, vous avez affirmé qu'aucune des personnes haut
placées dans l'administration Bush n'a été informée, avant le discours sur l'état de
l'Union, d'éventuels doutes quand à la réalité de ces efforts ou de soupçon sur la
véracité des documents fournis. Ainsi, quand vous avez été interrogée à ce sujet
lors de l'émission Meet The Press, vous avez fait la déclaration
suivante :
« À ce moment là nous n'étions
pas au courant - personne à notre niveau ne savait - peut-être quelqu'un, quelque part
dans les entrailles de l'agence, savait, mais nous, à notre niveau, n'étions pas au
courant qu'il y avait des doutes et des soupçons qu'il pourrait s'agir de faux.
Naturellement, il s'agissait d'informations qui étaient erronées. »
De même, quand vous êtes passée à l'émission This Week, vous avez renouvelé cette déclaration, prétendant que vous
avez interrogé à plusieurs reprises les services de renseignements concernant
l'accusation que l'Irak tentait d'obtenir de l'uranium d'un pays africain. Vous avez
déclaré :
« George, quelqu'un savait,
quelqu'un, quelque part, aurait pu être au courant. Mais je vous dirai que cette question
a été abordée avec la communauté du renseignement... les services de renseignement ne
savaient pas à ce moment-là, du moins pas à notre niveau, qu'il y avait des
interrogations quand à la validité des preuves. »
Vos affirmations, cependant, sont directement contredites
par d'autres faits avérés. Contrairement à ce que vous affirmez, des personnes haut
placées dans l'administration ont eu de sérieux doutes au sujet des preuves falsifiées
et elles les ont fait savoir avant le discours du Président sur l'état de l'Union. Par
exemple, Greg Thielmann, directeur du Office of Strategic, Proliferation, and Military
Issues au département d'État, à déclaré à Newsweek la semaine
dernière que le Bureau of Intelligence and Research (INR) du département d'État avait
estimé que les documents en question étaient « bon pour la
poubelle ». Vous n'êtes pas sans ignorer que l'INR fait partie de ce que vous
appelez « la communauté du renseignement ». L'INR est
dirigé par un secrétaire d'État adjoint, Karl Ford, qui dépend directement du
secrétaire d'État Powell et qui a participé de plein droi t à toutes les discussions
sur le potentiel nucléaire irakien. Je cite Newsweek :
« "Quand j'ai vu ce
rapport, ça m'a vraiment soufflé", a déclaré Thielmann à Newsweek. Thielmann connaissait l'origine de cette affirmation. La CIA avait fourni
quelques documents prétendant démontrer que Saddam avait essayé d'acheter jusqu'à 500
tonnes d'oxyde d'uranium au Niger. L'INR avait conclu que les achats étaient
invraisemblables - et l'avait clairement fait savoir à Colin Powell. Quand Thielmann a lu
que le Président s'était appuyé sur ces documents pour faire son discours à la nation,
il s'est dit, "C'est quand même pas ce stupide rapport bon pour la
poubelle ? Je me suis demandé comment ce truc avait pu se retrouver dans le discours
du président ?" »
Par ailleurs, le chroniqueur Nicholas D. Kristof du New York Times a démontré que le bureau du vice-Président savait
depuis février 2002 que les preuves fournies étaient frauduleuses - presque une année
avant que le Président fasse son discours sur l'état de l'Union. Dans son article, M.
Kristof écrit :
« Une personne impliquée dans le
dossier du Niger m'a indiqué qu'il y a plus d'un an le bureau du vice-président a
demandé une enquête sur l'affaire de l'uranium, et donc un ancien ambassadeur des
États-Unis en Afrique est parti au Niger. En février 2002, selon une des personnes
présentes lors des réunions, le délégué a remis son rapport à la CIA en concluant
qu'il n'y avait pas le moindre doute que l'information était fausse et que les preuves
fournies avaient été falsifiées. »
Par exemple, l'envoyé de la CIA a signalé que le
ministre du gouvernement nigérian dont la signature figurait sur un des documents
n'était plus en place depuis au moins 10 ans.... Le démontage de la falsification par
l'envoyé de la CIA a circulé dans l'administration et a semblé être accepté par tout
le monde... sauf que le Président Bush et le département d'État ont néanmoins
continué à y faire référence.
Comme le dit un membre de l'administration : « Il est faux de dire comme le fait le département d'État qu'ils ont
été induits en erreur alors que cela faisait plus d'un an qu'ils étaient au courant de
la falsification. »
Quand vous avez été interrogée à propos de l'article
de M. Kristof, vous n'avez pas nié ce qu'il affirme. Mais vous vous êtes contentée
de concéder « que le bureau du vice-président a peut être eu
connaissance de ce rapport. »
Il est également clair que même des officiels de la CIA
mettaient le rapport en doute. Le Washington Post écrivait le 22 mars
que des officiels de la CIA « avaient fait savoir à
l'administration qu'ils avaient de sérieux doutes sur la véracité des preuves
fournies. » Le Los Angeles Times rapportait le 15 mars que « vers la fin 2001 la CIA avait reçu une rumeur comme quoi l'Irak
cherchait à acheter de l'uranium au Niger » et que « l'existence
de preuves était affirmée par des sources de seconde et de troisième main. »
Le Los Angeles Times citait un officiel de la CIA : « Nous l'avons mentionné dans nos rapports, mais toujours en mettant
en doute la véracité des faits étant donné que nous avions de sérieux doutes. »
Avec tout le respect que je vous dois, mais il n e s'agissait pas ici d'informations aussi
« farfelues » (du moins est-ce comme cela que nous les considérions à
l'époque) que les rapports de la CIA avant le 11 septembre et qui affirmaient que Al
Qaïda avait le projet de détourner des avions et de les écraser sur des immeubles aux
États Unis. Interrogé sur cet aspect de la question, le 17 mai 2002, vous avez
répondu :
« Vous vous en doutez... les agences
rédigent de nombreuses notes. Elles sont diffusées en interne et analysées en interne.
Il est inhabituel que quelque chose comme cela ne remonte pas jusqu'au président. Il ne
se souvient pas l'avoir vue. Je ne me souviens pas non plus d'avoir vu une telle
note. »
Cette réponse serait valable si la preuve en question
n'avait été connue que d'un agent du FBI sur le terrain, à Phoenix, dans l'Arizona,
dont les soupçons n'auraient pas tout à fait été bien compris par les officiels à
Washington. Mais dans notre cas, ce n'est tout simplement pas crédible. Contrairement à
ce que vous prétendez publiquement, des officiels de haut niveau dans la communauté du
renseignement à Washington savaient que les preuves étaient fabriquées et donc
inutilisables, et ce bien avant que le Président ne s'en serve pour sa démonstration
dans le discours sur l'état de l'Union.
Les autres preuves
En plus de nier que les responsables savaient que le
président utilisait des preuves falsifiées, vous avez également prétendu que (1) « il y avait d'autres sources d'information affirmant que les irakiens
cherchaient à acquérir du yellowcake - de l'oxyde d'uranium - en Afrique » et
que (2) « il y a eu d'autres tentatives pour obtenir du yellowcake
en Afrique. »
Cette réponse n'explique pas la déclaration du
président dans le discours sur l'état de l'Union. Le président a explicitement
mentionné les preuves apportées par les Britanniques. Il a déclaré : « Le gouvernement britannique a appris que Saddam Hussein a récemment
tenté d'acquérir des quantités significatives d'uranium en Afrique ». On peut
imaginer que le président s'efforcerait de n'utiliser que les meilleures preuves pour
étayer ses affirmations dans son discours devant le Congrès et la Nation. Il ne serait
pas raisonnable qu'il cite des preuves falsifiées fournies par les Britanniques si, de
leur coté, les États-Unis disposaient d'autres preuves fiables, qu'il aurait pu citer.
D'ailleurs, contrairement à votre affirmation, il ne
semble y avoir aucune autre preuve spécifique et crédible que l'Irak ait cherché à
obtenir de l'uranium d'un pays africain. L'administration n'a pas fourni de preuves dans
ce sens, ni à moi, ni à mes services, en dépit de nos demandes répétées. Au
contraire, le département d'État m'a écrit que « la source » de cette
affirmation était un autre allié d'Europe occidentale. Mais simultanément le
département d'État reconnaît dans sa lettre, que le gouvernement de cet autre allié
d'Europe occidentale avait lui même « basé son analyse sur les
informations déjà disponibles aux États Unis, preuves qui ont été ultérieurement
discréditées ».
L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) n'a
également trouvé aucune autre preuve indiquant que l'Irak a cherché à obtenir de
l'uranium au Niger. Les preuves en possession des États-Unis ont été transmises à
l'AIEA. Après avoir passé en revue toute la documentation fournie par les États-Unis,
l'AIEA a déclaré que : « à ce jour nous n'avons trouvé
aucune preuve, ni indication plausible, d'une renaissance du programme d'armement
nucléaire de l'Irak ». Pour finir, l'IAEA conclut : « ces
affirmations spécifiques sont sans fondement. »
Questions
La discussion ci-dessus le démontre, les réponses que
vous avez apportées lors des émissions télévisées dimanche dernier sont en
contradiction avec d'autres rapports et soulèvent beaucoup de nouvelles questions. Afin
de contribuer à la clarification, je vous demande de fournir des réponses aux questions
suivantes :
- À l'émission Meet the Press, vous avez dit que « peut être que quelqu'un au fin fond de la CIA, savait »
que les preuves citées par le Président au sujet des tentatives de l'Irak d'obtenir de
l'uranium en Afrique étaient douteuses. Veuillez identifier l'individu ou les individus
dans l'administration qui, avant le discours du président sur l'état de l'Union, avaient
exprimé des doutes au sujet de la validité des preuves ou de la crédibilité de
l'affirmation.
- Veuillez identifier tous les individus dans l'administration qui, avant le
discours du président sur l'état de l'Union, ont été briefés ou ont autrement été
informés qu'un individu ou des individus dans l'administration avait exprimé des doutes
au sujet de la validité des preuves ou de la crédibilité de l'affirmation.
- À l'émission This Week, vous avez affirmé qu'il
existait, en plus de celles qui étaient douteuses, d'autres preuves que l'Irak essayait
d'obtenir de l'uranium en Afrique. Veuillez fournir ces autres preuves.
- Quand vous avez été interrogée sur des rapports indiquant que le
vice-président Cheney avait envoyé un ancien ambassadeur au Niger pour étudier les
preuves, vous avez répondu que « le bureau du vice-président a pu
avoir demandé ce rapport ». À la lumière de cette réponse, merci de nous
indiquer :
- Si le vice-président Cheney ou son bureau a demandé d'enquêter sur
l'affirmation que l'Irak a tenté d'obtenir des matières nucléaires en Afrique, et quand
cette enquête a été diligentée ;
- Si un ambassadeur actuel ou ancien des États-Unis en Afrique, ou tout
autre fonctionnaire ou agent du gouvernement actuel ou ancien, s'est rendu au Niger ou a
par ailleurs enquêté pour savoir s'il éta it vrai que l'Irak avait essayé d'obtenir
des matières nucléaires au Niger ; et
- Quelles conclusions ou résultats, le cas échéant, ont été remis au
vice-président, à son équipe, ou à d'autres fonctionnaires des États-Unis à la fin
de l'enquête, et quand ces conclusions ou résultats ont-elles été transmis.
Conclusion
Dimanche dernier, à la télévision, vous avez déclaré
que « il y a maintenant beaucoup de révisionnisme, on prétend
qu'il y avait des désaccords sur tel ou tel point ou sur tel autre ». Je ne
suis pas du tout d'accord avec une telle caractérisation. Je ne soulève pas des points
de détail sur la validité de telle ou telle information ou donnée fournie et la
question n'est pas de savoir si la guerre en Irak était justifiée ou pas.
Je veux simplement avoir la réponse à une question
simple : pourquoi le Président a-t-il utilisé des
fausses preuves dans son discours sur l'état de l'Union ? C'est une question
qui a un impact direct sur la crédibilité des États-Unis, et on devrait y répondre
d'une façon prompte et directe, en dévoilant intégralement tous les faits qui s'y
rapportent. Merci de votre aide dans cette affaire. Sincèrement,
Henry A. Waxman, Représentant au Congrès.
Membre de l'opposition. (www.house.gov/waxman)
...................;
Documents en anglais : Congress of the United
States - House of representatives : June 10, 2003.
Henry A. Waxman PDF - 888.6 ko
Transmis par Reseau Voltaire, Traduction : Grégoire Seither
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