16.09.03 - Le dépeçage du monde et des peuples.
L'idéologie de George W. Bush ne blesse pas seulement les relations
pacifiques entre États, elle porte atteinte aux libertés fondamentales partout dans le
monde. Mgr Melvin G. Talbert, l'imam Feisal Abdul Rauf et Marla J. Feldman se souviennent
dans le Washington Times de cet homme assassiné par un
« patriote » parce qu'il le croyait musulman. Sa veuve et ses orphelines
n'étant plus sous la protection de ce chef de famille seront bientôt expulsés des
États-Unis en vertu des lois sur l'immigration. Elles seront ainsi doublement victimes du
11 septembre.
L'ambassadeur Howard H. Leach tente de convaincre les lecteurs du Figaro que l'espoir renaît en Irak. Les problèmes d'approvisionnement
n'auraient pas été provoqués par la guerre, mais par l'économie socialisante du
régime de Saddam Hussein ; les imputations d'insécurité ne seraient que vilenies
et le pays serait aujourd'hui presque entièrement pacifié ; quant au gouvernement
provisoire, il serait représentatif de la population pu isque désigné selon des quotas
ethniques. Sur la base de cette autosatisfaction, les États-Unis espèrent pouvoir
compter sur le soutien économique de leurs alliés, qu'ils solliciteront lors de la
prochaine conférence des donateurs à Madrid. Cet optimisme diplomatique n'est pas
partagé par Tim Predmore qui confie ses états d'âme aux lecteurs du Los
Angeles Times. Cet ancien de la 101ème division aérienne a le sentiment d'avoir
été manipulé par l'administration Bush et se demande si ses camarades morts en Irak
sont tombés pour la patrie ou pour enrichir le lobby pétrolier. De son côté, dans l'International Herald Tribune, le psychiatre John A. McKinnon diagnostique
l'infantilisme de l'administration Bush qui prend ses rêves pour la réalité. Il doute
que l'immaturité soit une qualité pour gouverner un État.
Dominique de Villepin a exposé dans Le Monde les
propositions qu'il a présenté à ses collègues membres permanents du Conseil de
sécurité des Nations unies, lors du sommet de Genève. Il s'agit de substituer une
logique de souveraineté du peuple irakien à l'actuelle logique d'occupation étrangère.
À terme, l'objectif serait de confier à un gouvernement élu le soin de conduire les
affaires intérieures et à l'ONU celui de garantir la sécurité extérieure de l'Irak.
On sait que ces propositions ont été rejetées d'un revers de main, samedi, par Colin
Powell.
Cependant, Mikhaïl Gorbatchev se félicite dans Clarin
de la convergence de vues entre la Fédération de Russie et la France, et de leur
volonté de trouver une solution honorable pour les États-Unis.
Selon le « New York Times », les États-Unis sont
attaqués par la France
L'éditorial de Thomas L. Friedman dans le New York Times
n'en finit pas de provoquer des remous. Le journaliste décrit la guerre que la France
livrerait actuellement à « l'Amérique ». Il exprime là un sentiment
prévalent parmi la classe dirigeante outre-Atlantique : la France ferait son
possible pour que les États-Unis échouent en Irak de manière à saper le leadership
mondial de Washington. L'International Herald Tribune reproduit cet
éditorial, à destination de ses lecteurs européens, mais en atténuant quelques
passages et en modifiant le titre pour ne pas les froisser. Le point de vue de Friedman
est caractéristique de la paranoïa actuelle des élites US. Il leur permet de rejeter
toute critique et de projeter sur d'autres leurs responsabilités dans le chaos irakien.
La défiance qui oppose le monde aux États-Unis n'en est pas moins réelle. Gerhard
Schröder tente d'amadouer ses interlo cuteurs états-uniens dans le New
York Times. Il multiplie les marques de reconnaissance pour les bienfaits que
l'Allemagne a reçu du grand frère américain et propose de rendre service en Irak
en formant la police locale. Cette espièglerie, qui a du faire rire le président Chirac,
a été reprise conjointement lors du sommet franco-allemand de Berlin. En effet, si le
Pentagone a bien une crainte en Irak, c'est de distribuer des armes à la police locale
qui pourrait à terme se retourner contre la Coalition. Josep Pernau se permet une autre
plaisanterie dans El Periodico. Il espère que George W. Bush
révèlera bientôt la présence de la main de Ben Laden derrière l'ouragan Isabel qui
ravage la côte Est des États-Unis.
Dominique Moïsi s'efforce d'imaginer un compromis entre Washington et Paris qui permette
de mettre en euvre une politique de refoulement de l'islamisme. Elle passe selon lui
par une meilleure compréhension des réalités irakiennes à Washington, les fantasmes
technologiques de Donald Rumsfeld ayant montré leurs limites. Mais elle suppose aussi,
poursuit-il dans le Washington Post, une volonté qui semble faire
défaut à Paris, où l'on se satisfait de voir le géant américain embourbé en Irak
comme la France le fut jadis en Algérie.
Quoi qu'il en soit, l'intransigeance états-unienne se heurte à de dures réalités.
Jeffrey H. Smith préconise de ne pas reculer devant l'adversité. Le peuple
américain doit accepter de payer le prix du sang en Irak, écrit-il dans le Washington Post. À l'inverse, Doug Bandow estime que le coût est déjà
trop élevé. Il est temps de trouver une stratégie de sortie affirme-t-il, non dans un
quotidien US, mais dans le Japan Times. Son point de vue est publié
au moment où à Londres, et non à Washington, la presse révèle le nombre réel de GI's
blessés. Comme nous l'indiquions ce chiffre est si élevé que le Pentagone en a fait un
secret d'État. Selon l'Observer de ce week-end, plus de 6000 GI's
blessés ont déjà été rapatriés, dont 1500 blessés graves.
De sa prison nigériane Shehu Sani relève dans l'International
Herald Tribune que l'exemple de l'USA Patriot Act et du camp de Guantanamo ont
inspiré bien des régimes africains pour violer eux aussi les Droits de l'homme.
Robert Scheer dénonce dans le Los Angeles Times le
cynisme de Paul Wolfowitz. Il rappelle que le secrétaire adjoint à la défense
avait préconisé dès 1992 l'attaque de l'Irak et qu'il n'a pas hésité à
inventer la prétendue menace d'armes de destruction massive pour conduire le pays à la
guerre. Mais ce n'est pas le seul point sur lequel Wolfowitz a menti. Pour convaincre, il
a aussi juré que la guerre serait payée par le pétrole irakien, alors qu'aujourd'hui il
présente une facture exorbitante au Congrès. Et sans scrupules, Wolfowitz joue avec la
mémoire des victimes du 11 septembre pour faire voter sa rallonge budgétaire.
Dans le Christian Science Monitor, Bruce Everett critique vivement la
politique économique de l'autorité d'occupation en Irak. En effet, l'administrateur Paul
Bremer III a choisi de reconstruire l'Irak en s'appuyant sur les structures socialistes
héritées du Ba'as. Au contraire, Everett, qui se réfère à l'économiste péruvien
Hernando do Soho, plaide pour une économie libertarienne comparable à celle que les
« Chicago Boys » de Milton Friedman avaient mise en uvre au Chili et en
Argentine. Cette polémique met en lumière un clivage fondamental au sein de la classe
dirigeante états-unienne : d'un côté les défenseurs des intérêts nationaux des
États-Unis qui entendent se livrer à une exploitation coloniale classique des pays
occupés, de l'autre, les dirigeants des firmes multinationales qui espèrent absorber des
entreprises privatisées dans le cadre d'une économie globale dérégulée.
Enfin, Chris Patten observe dans l'International Herald Tribune que la
croyance de Wolfowitz selon laquelle la chute de Saddam Hussein apporterait la démocratie
se fonde sur son expérience de la chute de Ferdinand Marcos aux Philippines. Pourtant les
deux situations n'ont pas grand-chose de comparable. La chute d'un tyran n'est pas en
elle-même synonyme de démocratie, cela dépend notamment de la manière dont le tyran
est tombé. En tout état de cause, ce n'est pas avec des missiles de précision que Paul
Wolfowitz exportera la démocratie, mais avec le développement de l'éducation. C'est
cette option que l'Union européenne a choisie en lançant, lors de la conférence de
Barcelone de 1995, le partenariat euro-méditérannéen.
S'exprimant dans Le Monde au sujet du sommet de
l'OMC, Ricardo Lagos note que les règles internationales qui posent problème sont celles
qui assurent la suprématie commerciale et financière des États-Unis. Si elles sont
contestées, c'est parce que les pouvoirs spéciaux issus de la victoire de 1945 n'ont
plus de raison d'être.
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